Cela fait un certain temps que le Japon s’efforce de générer une vitesse d’inflation suffisante pour échapper à la force gravitationnelle de la déflation. Cette stratégie reposait sur la conviction que l’inflation de base atteindrait l’objectif de la Banque du Japon (BOJ). Comme prévu, la politique de taux d’intérêt négatifs a été abandonnée lors de la réunion de mars de la BOJ. Que va donc faire le Japon désormais ?
Pour le reste de l’année 2024 et le début de l’année 2025, tout dépendra maintenant du maintien ou non de l’inflation à l’objectif de 2 % de la BOJ. Si c’est le cas, cela aurait une incidence sur le nombre final des hausses de taux d’intérêt de la BOJ. La mention « cette fois-ci, c’est différent » par Shinichi Uchida, vice-gouverneur de la BOJ, dans son discours lors d’une récente conférence sur l’évolution de la politique monétaire, est donc tout à fait opportune.
Une inflation soutenue à venir ?
Nombreux sont ceux qui semblent avoir abandonné l’espoir d’observer un jour une inflation soutenue au Japon. Les chiffres récents de l’inflation moyenne, en repli, semblent suggérer que l’inflation est en train de refluer (voir Illustration 1). Les détails pourraient néanmoins refléter un scénario différent. Les détails suggèrent en effet que l’inflation pourrait bien connaître une nouvelle accélération à l’avenir, qui ferait sortir le Japon de l’orbite déflationniste.
Illustration 1 : mesures de l’inflation sous-jacente par la Banque du Japon
Pourcentage, en glissement annuel. Au 30 avril 2024

Sources : Brandywine Global, Macrobond, Banque du Japon.
Des accélérateurs d’inflation cachés
Tout d’abord, sur le front des marchandises, le yen a été extrêmement faible. Cette faiblesse s’explique en partie par l’important différentiel de taux d’intérêt entre les États-Unis et le Japon. En ce qui concerne les pressions inflationnistes, un yen fragile crée une boucle de rétroaction au sein de l’économie, laquelle se traduit par une hausse des prix des importations (voir Illustration 2). La récente enquête d’Economy Watchers révèle que les entreprises japonaises sont de plus en plus préoccupées par le prix élevé des importations induit par la faiblesse du yen, qui rogne leurs marges bénéficiaires. Ce problème a également attiré l’attention de la BOJ.
Illustration 2 : yen et inflation au Japon
Pourcentage (à gauche), pourcentage de l’USD/JPY en glissement annuel. Au 30 avril 2024

Sources : Brandywine Global, Macrobond, Bureau des statistiques du Japon.
En ce qui concerne les services, il est désormais établi que les salaires du printemps 2024 font l’objet d’une révision à la hausse moyenne de 5 %. Cette croissance des salaires a été possible en dépit de certaines pressions gouvernementales, mais aussi, et surtout, en raison de l’étroitesse du marché de l’emploi. L’indice des prix à la production dans les services est en hausse et affiche aujourd’hui son niveau le plus élevé depuis 26 ans (voir Illustration 3). Les dépenses de consommation réelles au Japon sont en berne depuis 2022 sous l’effet de la montée de l’inflation. Mais ces salaires plus élevés pourraient éventuellement déboucher sur une consommation plus soutenue. Au cours du mois dernier, un rapport de Morgan Stanley a montré que les ventes des grands magasins de l’Archipel aux acheteurs japonais avaient enregistré un rebond, et que les ventes de produits de luxe s’accéléraient. En outre, selon l’indice Nikkei Asia, Tokyo et Osaka connaissent la plus forte hausse des prix des appartements en copropriété. Certes, le cycle de rétroaction salaire-consommation-prix pourrait prendre un certain temps avant de se matérialiser, mais il est aujourd’hui plus plausible qu’auparavant.
Illustration 3 : indice des prix à la production (IPP) dans le secteur des services japonais
Au 1er avril 2024

Sources : Brandywine Global, Macrobond, Banque du Japon.
Enfin, la BOJ garde un œil attentif sur les attentes en matière d’inflation. L’institution estime que ces attentes doivent être ancrées à 2 % pour que l’inflation puisse se maintenir. Si le caractère durable de l’inflation peut susciter des doutes profonds ou latents, dans la mesure où la BOJ n’a jamais atteint son objectif, les prévisions récentes en matière d’inflation suggèrent en effet un ancrage de l’inflation à 2 % (voir Illustration 4).
Illustration 4 : prévisions d’inflation au Japon
Les ménages japonais tablent sur une inflation inférieure à 2 %. Au 1er mai 2024

Sources : Brandywine Global, Macrobond, CAO, Bureau des statistiques du Japon.
Conséquences pour les JGB et le yen
Le rendement des obligations d’État japonaises (JGB) à 10 ans a récemment franchi la barre des 1 %, niveau précédemment ciblé par le contrôle de la courbe des taux. Dès lors, une cassure de ce plafond, désormais supprimé, constitue un signal important. Il est probable qu’à partir de maintenant, une trajectoire haussière soit celle offrant le moins de résistance. Actuellement, le marché des swaps intègre deux hausses de taux au cours des 12 prochains mois et trois hausses de taux en deux ans (voir Illustration 5).
Illustration 5 : swaps de taux à terme du Japon dans 1 an, 2 ans et 5 ans
% Au 6 juin 2024

Sources : Brandywine Global, Macrobond
Puisqu’un rebond de la consommation réelle se fait encore attendre, la BOJ est toujours susceptible d’agir graduellement, ce que le marché prévoit actuellement. Toutefois, l’écart de production du Japon, à savoir la différence entre la production réelle et la production potentielle de l’économie, s’étant quelque peu comblé, une accélération des dépenses réelles due à la croissance des salaires pourrait attiser l’inflation et faire pression sur la Banque du Japon pour qu’elle relève ses taux d’intérêt. Si tel est le cas, il est tout à fait concevable que le marché s’empresse alors d’intégrer plusieurs relèvements des taux d’intérêt au cours des deux prochaines années. Le yen, qui a été l’une des devises les plus mal aimées, pourra dès lors enfin se redresser à mesure que l’écart de taux d’intérêt avec les États-Unis se réduira.
Même si ce scénario semble encore un peu lointain, le Japon pourrait bien s’engager dans cette voie. Et cela irait certainement dans le sens du « cette fois, c’est différent » du vice-gouverneur Uchida-san.
Définitions :
L’indice des prix à la consommation (IPC) sert à mesurer l’évolution des dépenses de l’ensemble des ménages urbains pour une série particulière de biens et de services. S’agissant de sa couverture, l’IPC mesure le coût des dépenses réalisées directement par des ménages dans des articles de son panier, à l’exception notable qu’il inclut également une mesure des loyers que les propriétaires paient de manière implicite au lieu de louer leur maison.
L’indice des prix à la production (IPP) mesure l’évolution moyenne dans le temps des prix de vente que les producteurs nationaux perçoivent pour leur production.
La déflation désigne la baisse persistante du niveau des prix à la consommation ou la hausse persistante du pouvoir d’achat de la monnaie.
Un swap de taux d’intérêt est un contrat à terme dans le cadre duquel un flux de paiements d’intérêts futurs est échangé contre un autre sur la base d’un capital spécifié.
Le yen est le nom de la monnaie japonaise.
QUELS SONT LES RISQUES ?
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