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La légende ancienne du vieil énergumène qui déplaçait les montagnes bloquant le pas de sa porte est devenue très populaire en Chine. Elle nous rappelle que la persévérance vient à bout même des obstacles les plus redoutables. La Chine a récemment annoncé un plan de sauvetage de son immobilier qui vise à résorber les stocks d’invendus. Sa persévérance permettra-t-elle enfin à ce secteur aux abois de se redresser ?

Pourquoi maintenant ?

La reprise post-COVID de la Chine a été marquée par des pressions déflationnistes et des attentes sans lendemain. Le principal frein reste le marché de l’immobilier en raison d’années de resserrement agressif du crédit et de restrictions d’achat du côté, respectivement, de l’offre de la demande. Depuis le début de l’année 2022, les restrictions à l’achat ont été assouplies au coup par coup, mais en vain. Les données économiques récentes montrent une économie déséquilibrée, à deux vitesses :

  • D’un côté, nous voyons la production industrielle, les dépenses d’investissement dans le secteur manufacturier et les exportations qui continuent à bien se porter grâce à la reconstitution des stocks, à la politique industrielle axée sur les « trois nouveautés » (les véhicules électriques, les panneaux solaires et les batteries au lithium), ainsi qu’à une demande extérieure soutenue.
  • Mais de l’autre, la détérioration de la consommation et du marché immobilier se poursuit. L’effondrement des investissements, des ventes et des prix dans le secteur du logement ne s’est pas atténué (voir Illustration 1).

Illustration 1 : Investissements immobiliers, mises en chantier et ventes de logements en Chine

2019 = 1. Au 1er janvier 2024

Sources : Brandywine Global, Macrobond.

La Chine a choisi de privilégier la modernisation de son industrie en privant le marché immobilier de crédit, espérant ainsi voir les gains de production industrielle et manufacturière compenser les problèmes liés au foncier. Cependant, cette stratégie se heurte à de nombreux problèmes. Les « trois nouveautés » sont déjà confrontés à une surcapacité (voir tableau 2), une baisse des prix et des réactions négatives de la part des marchés d’exportation. À titre d’exemple, le président américain Joe Biden a instauré des droits de douane ciblés sur 18 milliards de dollars d’importations chinoises. Si les pays de la zone euro lui emboîtent le pas, les dégâts seront bien plus considérables étant donné que l’Union Européenne est un plus gros importateur de biens chinois. En outre, ces nouveaux droits de douane et la montée des tensions géopolitiques pourraient entraîner de nouvelles délocalisations de la chaîne d’approvisionnement hors de Chine.

Illustration 2 : Taux d’utilisation des capacités industrielles en Chine

En %, ajustement saisonnier. Au 1er janvier 2024

Sources : Brandywine Global, Macrobond, NBS.

Dans le même temps, les défaillances d’Evergrande et de Country Garden, ainsi que la situation financière désastreuse de Vanke, promoteur immobilier de premier plan et d’importance stratégique, ont ébranlé les décideurs politiques. D’autres facteurs tels que la diminution des dépenses d’infrastructure, le net ralentissement des émissions d’obligations d’État au premier trimestre et le peu d’impulsion donné au crédit ont contraint la Chine à se préoccuper davantage de la demande intérieure et à remettre de l’ordre dans ses affaires. Tel est le contexte dans lequel le nouveau plan de relance de l’immobilier a été conçu. Il s’agit là d’un signal fort qui montre que juguler la détérioration du secteur immobilier est devenu une priorité urgente.

Le programme

Le plan de sauvetage de l’immobilier chinois est davantage axé sur la gestion des risques que sur la recherche d’un nouveau boom de l’immobilier. Il combine plusieurs objectifs, notamment stimuler la demande de logements, réduire les stocks de logements et soutenir les promoteurs :

  • Rachat de terrains : Les pouvoirs publics locaux peuvent racheter les terrains excédentaires aux promoteurs à des prix « adéquats ». Les terrains peuvent être utilisés pour des logements locatifs abordables. Le financement peut provenir d’émissions obligataires spéciales, mais les pouvoirs publics locaux pourraient rechigner à acquérir du foncier dans des conditions financières tendues.
  • Réduction de l’inventaire : Les pouvoirs publics locaux peuvent acheter les stocks de logements invendus aux promoteurs à des « prix adéquats » par l’intermédiaire de régies locales, puis les convertir en logements locatifs abordables. Le montant du prêt bancaire peut atteindre 500 milliards de RMB, la facilité de prêt de la Banque populaire de Chine (BPC) étant fixée à 300 milliards de RMB à un taux de 1,75 % pour une durée maximale de 5 ans.
  • Financement de projets inachevés : Les banques sont encouragées à répondre aux besoins d’emprunt raisonnables des projets de promoteurs immobiliers inscrits sur la liste blanche.
  • Assouplissement des conditions d’octroi des prêts immobiliers : L’acompte minimum est réduit de 5 points de pourcentage supplémentaires, passant à 15 % pour les résidences principales et à 25 % pour les résidences secondaires, ce qui représente un plancher historique. La restriction relative au taux d’intérêt hypothécaire minimum disparaît, bien que de nombreuses villes y échappent déjà. Le taux d’intérêt sur les prêts personnels accordés au titre du fonds de prévoyance logement diminue de 25 points de base.

Défis et incertitudes

Même s’il est bienvenu, ce programme ne stimulera peut-être pas directement les ventes ou les investissements. L’inventaire atteint un record de plusieurs années. Le succès du plan de sauvetage dépend de son ampleur, de son financement et de son exécution :

  • Ampleur : Selon l’étude de Barclays, pour ramener la moyenne des mois d’invendus à 18 mois de ventes (ce qui est considéré comme un niveau de stock normal) contre 33 mois actuellement, le gouvernement devrait acheter pour 14,6 milliards de RMB de stocks de logements, en supposant que les ventes annuelles de nouveaux logements s’élèvent à 11,7 milliards de RMB en 2023 (voir illustration 3). En supposant une décote de 50 %, cette estimation équivaut à une dépense de 7,3 milliards de RMB (1 milliard d’USD) pour les pouvoirs publics. Le financement prévu de 500 milliards de RMB semble insuffisant, puisqu’il ne représente qu’environ 3 % de l’inventaire.1

Illustration 3 : L’inventaire résidentiel dans 80 villes a atteint un niveau record de 33 mois

Au 30 avril 2024

Source : Barclays Research

  • Tarification : L’objectif de l’achat d’un stock de logements est de mettre le hola à la spirale de baisse des prix de l’immobilier. Cependant, il est difficile de déterminer un prix d’achat « adéquat » pour garantir des transactions équitables. L’opération présente un risque de destruction de richesse pour certaines parties. En cas de décote importante, la proposition pourrait décourager les promoteurs de vendre ou les ménages d’échanger leur logement. Ces baisses de prix pourraient aussi se répercuter sur d’autres biens, provoquant un effet de contagion.
  • Participation des pouvoirs publics locaux : Des rendements locatifs plus faibles par rapport aux coûts de financement pourraient dissuader les pouvoirs publics locaux, déjà confrontés à des difficultés financières et à un désendettement, de participer au programme, d’autant que celui-ci n’est pas contraignant. Étant donné que les bailleurs et les emprunteurs sont responsables des risques futurs et des créances irrécouvrables, l’aversion pour le risque pourrait restreindre l’adhésion. Selon les recherches de Rhodium, un programme pilote similaire lancé début 2023 avec un quota de 100 milliards de RMB n’a suscité que très peu d’intérêt, avec seulement 2 milliards de RMB utilisés.2
  • Confiance de l’acheteur : La confiance est essentielle, car le succès du programme dépend de la disposition des particuliers à acquérir des logements. En dehors des besoins d’amélioration ou des nécessités liées aux événements de la vie, la plupart des ménages ont perdu tout intérêt pour l’achat d’un logement (voir Illustration 4). Compte tenu de l’importance de l’offre excédentaire, les attentes en matière d’appréciation des prix des logements diminuent, et peut-être cesseront-ils d’être perçus comme une réserve de valeur (voir graphique 5).

Illustration 4 : Taux moyen des demandes de premiers prêts hypothécaires en Chine par rapport à la valeur des ventes résidentielles au niveau national

%, variation sur 12 mois glissants d’une année sur l’autre. Au 1er janvier 2024

Sources : Brandywine Global, Macrobond.

Illustration 5 : Enquête de la BPC auprès des déposants urbains — Attentes des ménages

%. Au 1er janvier 2024

Sources : Brandywine Global, Macrobond, Banque populaire de Chine.

  • Risque moral : L’intervention des pouvoirs publics dans l’acquisition de biens immobiliers suscite des inquiétudes en matière de risque moral, de corruption, de recherche de rentes et de concurrence déloyale.
  • Efficacité : Les mesures de relance antérieures, qui ont généralement provoqué des effets de marché éphémères, mettent en évidence la difficulté de s’attaquer aux problèmes structurels à long terme du marché.

Conclusion et implications pour les investissements :

La faiblesse de la reprise post-pandémie en Chine et les difficultés persistantes du secteur immobilier ont exercé des pressions durables sur la devise et les actifs de la Chine :

  • le yuan (CNY) continue à subir des pressions à la dépréciation par rapport au dollar américain (USD) en raison des écarts importants entre les taux d’intérêt, du regain de tension géopolitique et d’un éventuel report des réductions de taux de la Réserve fédérale. Pour éviter les sorties de capitaux, qui se sont accélérées récemment, et attirer les investissements directs étrangers, la BPOC a poursuivi la fixation du CNY afin de maintenir un taux de change stable (voir illustration 6). Toutefois, cette pratique n’est probablement pas viable en cas de chocs brusques. Nous pensons que la voie de la moindre résistance pour le CNY est celle d’une dépréciation mesurée et progressive par rapport à l’USD. En cas d’affaiblissement de l’USD, le CNY a tendance à sous-performer alors que les autres devises se redressent.

Illustration 6 : Différentiel de taux d’intérêt entre les obligations d’État chinoises à 2 ans et les titres américains, USD/CNY et taux de fixation du CNY

Yuan chinois (à gauche), % (à droite). Au 20 mai 2024

Source : Bloomberg (© 2024, Bloomberg Finance LP)

  • La hausse des obligations d’État chinoises (OEC) pourrait marquer une pause et se consolider à court terme, le marché accordant le bénéfice du doute aux mesures de sauvetage. La BPC cherche à maintenir les taux d’intérêt nominaux à un niveau bas en procédant à d’éventuelles baisses. Nous pensons que l’augmentation de l’offre obligataire s’accompagnera d’une injection de liquidités et d’achats potentiels de sa part. À court d’actifs sûrs, les banques et les compagnies d’assurance achètent des OEC qui restent attrayantes en raison de leur rendement réel élevé par rapport à leurs homologues (voir illustration 7) et de leur rendement élevé couvert contre le risque de change. Contrairement aux rendements des bons du Trésor américain qui restent élevés plus longtemps, ceux des OEC devraient rester durablement plus faibles en raison de la pression déflationniste structurelle qui s’exerce en Chine. Nous pensons que le point d’entrée sera plus intéressant si le rendement des OEC à 30 ans dépasse 2,65 %.

Illustration 7 : Rendements réels à 10 ans de la Chine par rapport à ses pairs

%. Au 24 mai 2024

Source : Bloomberg (© 2024, Bloomberg).

Ce plan de sauvetage constitue une étape vers la stabilisation du marché immobilier chinois, mais son succès dépend de la capacité à surmonter des obstacles de taille et à rétablir la confiance des ménages dans l’achat d’un logement. Toutefois, les mesures de relance risquent d’être encore insuffisantes en raison de l’ampleur du problème de l’offre. L’envergure, le financement et la mise en œuvre des achats d’inventaire sont trop limités et manquent de clarté. Le plan de sauvetage n’a donc pas encore de quoi changer la donne. Les montagnes de logements invendus nécessitent des politiques énergiques et persévérantes. Les décideurs politiques devront voir les choses en très grand pour raviver la confiance des candidats propriétaires. Sans une intervention plus substantielle, l’ampleur du problème de l’offre de biens immobiliers risque de freiner la croissance du secteur immobilier chinois dans les prochaines années.



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