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Cet article a été initialement publié dans Barron's le 29 août 2023. 

La résistance de la croissance, des bénéfices et des marchés américains a constitué la grande surprise de l'année 2023. Après plus d'un an de fortes hausses des taux d'intérêt de la Réserve fédérale (Fed), rares sont ceux qui auraient cru, en début d'année, que les États-Unis éviteraient une récession, que les prévisions de bénéfices des entreprises américaines se redresseraient et que les principaux indices boursiers connaîtraient un fort rebond.

Si de nombreuses explications ont été avancées pour expliquer ces phénomènes, un facteur important a été généralement négligé : la dette du secteur privé américain. Au cours des 15 dernières années, l'endettement des ménages et des entreprises américaines a considérablement évolué, de telle sorte que l'économie, les bénéfices et les valorisations des actions sont moins sensibles à la politique monétaire que jamais depuis plus d'une génération.

Nous nous concentrerons ici sur la dette des entreprises. Il convient toutefois de noter que les pratiques d'emprunt des ménages ont également fortement évolué depuis la crise financière mondiale (CFM). La dette totale des ménages, exprimée en pourcentage du produit intérieur brut (PIB), a diminué de près d'un tiers depuis 2008. Les normes de crédit se sont durcies, et de moins en moins de ménages à risque sont en mesure d'emprunter ou d'emprunter autant qu'auparavant. Et surtout, les emprunts hypothécaires sont redevenus des prêts conventionnels à taux fixe sur 30 ans et non des prêts hypothécaires à taux variable ou révisable. En conséquence, les écarts entre les hausses des taux courts de la Fed et les coûts du service de la dette pour les ménages se sont creusés.

Ces facteurs expliquent à eux seuls le fait que l'économie américaine et les dépenses de consommation ont mieux résisté que prévu à l'aube de l'année 2023. Un marché du travail dynamique, soutenu par les réembauches post-COVID, les pénuries de travailleurs qualifiés et les mesures de relance budgétaire ont également largement contribué à la résilience de la demande.

Mais pour les économistes, les décideurs politiques et les investisseurs, une autre évolution intéressante de la dette est en cours : l'absence d'impact perceptible de la hausse des taux d'intérêt sur la rentabilité des entreprises. Ce constat mérite une attention particulière, car il a des implications importantes en termes de croissance, de bénéfices et de capitaux propres, ainsi que de performances sur le marché du crédit.

Qu'est-ce qui a changé ?

Tout comme pour les ménages, la crise financière mondiale a provoqué de profonds changements dans la manière dont les entreprises empruntent. Bien que le désendettement global des entreprises ait été plus modeste que celui des ménages depuis la crise financière mondiale, la durée des emprunts a connu une évolution similaire. Plus précisément, la crise financière mondiale a eu pour conséquence notamment de réduire la dépendance des entreprises à l'égard des emprunts à court terme, tels que les billets de trésorerie ou les prêts bancaires, et de les remplacer par des instruments de crédit publics et privés assortis d'échéances plus longues et de conditions fixes.

Par exemple, l'encours des billets de trésorerie qui s'élevait à environ 2 200 milliards de dollars à la mi-2007 atteindra près de 1 200 milliards de dollars en août 2023.1 Au cours de la même période, les marchés américains des titres investment grade et du haut rendement se sont envolés, passant respectivement de 2 100 milliards de dollars à 7 800 milliards de dollars, et de 700 milliards de dollars à 1 200 milliards de dollars.2 Dans le même temps, le crédit privé mondial a augmenté de 1 000 milliards de dollars.3 La plupart de ces emprunts sont à taux fixe et les échéances moyennes pour ces trois catégories d'actifs oscillent entre 4 et 10 ans. 

En conséquence, les différences entre les taux d'intérêt en hausse (en raison du durcissement de la politique monétaire de la Fed) et les coûts du service de la dette des entreprises se sont accrues. Par conséquent, du fait des changements structurels opérés dans le financement des entreprises, le secteur des entreprises a jusqu'à présent été protégé contre les principales conséquences de ce qui a été par ailleurs une impressionnante série de hausses de taux de la Fed depuis le début de l'année 2022.

Mais cela ne s'arrête pas là. Comme le montrent les données les plus récentes tirées des résultats publiés au titre du deuxième trimestre 2023, les entreprises de nombreux secteurs font état d'une baisse des coûts d'intérêt nets, malgré la hausse des taux d'intérêt sur toutes les échéances. Comment cela est-il possible ?

Une partie de la réponse réside dans la courbe de rendement inversée, les taux à court terme étant supérieurs aux taux à long terme. Les entreprises disposant d'une trésorerie importante (grâce à des bénéfices solides et à des dépenses d'investissement modérées) bénéficient de revenus d'intérêts plus élevés en plaçant leurs fonds dans des obligations à court terme, mais de faibles coûts d'intérêts en profitant de taux d'intérêt plus bas grâce à des emprunts à plus long terme. En somme, le secteur des entreprises tire profit de l'inversion de la courbe des taux.

Cela explique en partie pourquoi, pour presque tous les secteurs de l'indice S&P 500 (à l'exception des biens de consommation de base et de la santé), les charges d'intérêt nettes en pourcentage du bénéfice net sont plus faibles aujourd'hui qu'il y a 20 ans. En effet, pour l'ensemble de l'indice S&P 500, les charges d'intérêt nettes, exprimées en pourcentage du bénéfice net, ne représentent aujourd'hui qu'environ 40 % de leur niveau de 2003.4

Il en résulte une hausse des bénéfices, qui stimule le cours des actions, ainsi qu'une meilleure résistance du secteur des entreprises face au durcissement de la politique monétaire de la Fed.

Mais cette situation réjouissante peut-elle perdurer ? À long terme, non. À un moment donné, de nouveaux emprunts sont nécessaires et la dette qui arrive à échéance doit être renouvelée. Si les coûts d'emprunt demeurent élevés, la conjoncture favorable va subir un coup d'arrêt.

Mais le bouclier de la dette des entreprises peut encore persister pendant un certain temps. En effet, les échéances ont été fortement allongées pour de nombreuses entreprises et dans de nombreux secteurs. Depuis la fin de 2020, par exemple, la proportion de la dette investment grade arrivant à échéance après 2028 est passée d'environ 48 % à 56 %.5 Cette tendance est encore plus nette chez les emprunteurs à haut rendement (sub-investment grade), la proportion des emprunts s'étendant au-delà de 2028 passant de 20 % à environ 42 % du marché.6 Et, bien sûr, si les taux baissent d'ici là (ce qui semble probable avec le recul de l'inflation), les entreprises pourront se refinancer à des conditions plus avantageuses avant l'échéance de leur dette. 

Il est également intéressant de voir où ces évolutions sont particulièrement notables. Au sein des marchés investment grade, les sociétés financières sont en tête avec une augmentation de 50 % de la dette à long terme.7 Les secteurs de l'énergie et de la technologie ont enregistré des hausses de plus de 25 %.8 À l'autre extrémité du spectre des emprunts, le secteur de la santé n'a pas connu une évolution similaire de l'échéance de la dette, de sorte que les charges d'intérêt nettes ont pesé plus lourdement sur les bénéfices nets au cours des derniers trimestres.   

Le fait que les bénéfices aient été protégés des conséquences du durcissement de la politique monétaire de la Fed explique en partie la volonté des entreprises de continuer à embaucher. Cela met également en évidence une boucle de rétroaction positive entre les bénéfices, l'emploi et la demande qui, bien qu'elle ne soit pas éternelle, a contribué à soutenir la croissance économique des États-Unis jusqu'en 2023.

Si tel est le cas, la résistance des bénéfices et de la croissance a une autre conséquence importante pour les investisseurs, à savoir la réduction du risque de défaillance. La question du risque de crédit est plus complexe. Des défaillances individuelles demeurent possibles, et certaines seront inévitables. Mais à moins d'un gel des marchés du crédit, les taux de défaillance des entreprises devraient être globalement plus faibles dans ce cycle que dans les précédents.

Quelles sont les principales conséquences pour les investisseurs ?

  • Premièrement, il faut se méfier des prévisions de récession fondées uniquement sur des normes historiques. L'endettement du secteur privé américain a considérablement évolué en termes de montant, de structure et d'échéance depuis la crise financière mondiale, et la plupart de ces changements renforcent la stabilité et la résilience de l'économie.
  • Deuxièmement, en supposant que l'inflation continue de baisser et que la croissance demeure modérée, les taux d'intérêt devraient être proches de leur maximum. En cas de baisse, les entreprises pourront se refinancer à des conditions plus favorables. Pour nombre d'entre elles, le temps joue en leur faveur, puisqu'elles ont opté pour des échéances plus longues.
  • Troisièmement, les investisseurs devraient être prêts à profiter de tout accès de faiblesse générale sur les marchés du crédit pour tirer parti de l'amélioration des fondamentaux de la dette des entreprises. Certes, il faut pour cela déterminer avec précaution les cas où le risque de crédit idiosyncrasique est justifié, mais il nous semble que des stratégies prudentes « buy the dip » sont justifiées.

Stephen Dover, CFA
Chief Market Strategist,
Franklin Templeton Institute



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