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Publié initialement dans le bulletin d’information « Global Market Perspectives » de Stephen Dover sur LinkedIn. Suivez Stephen Dover sur LinkedIn, où il publie ses réflexions et observations ainsi que son bulletin d’information Global Market Perspectives.

Depuis juillet, les rendements obligataires sont sur une lancée haussière. Le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans a bondi de 3,75 % lors de la 3ème semaine de juillet à un plus haut récent de 4,81 %.1 La hausse des rendements des emprunts d’État a augmenté les coûts des nouveaux emprunts pour les entreprises et les ménages. À titre d’exemple, le taux fixe des crédits hypothécaires conventionnels à 30 ans est d’environ 7,3 %, soit son plus haut niveau depuis 2000.2 Par rapport à ses points bas enregistré durant la pandémie (proches de 4 %), un Américain contractant un crédit hypothécaire de 325 000 dollars remboursera aujourd’hui près de 10 000 dollars de plus d’intérêts par an.

La hausse des primes à terme a conditionné le dernier rebond des rendements obligataires. La hausse des primes à terme représente le rendement supplémentaire que requiert les investisseurs pour accepter le risque de détention d’obligations à plus longue échéance par rapport à des courtes échéances et ils imposent des coûts supérieurs à tous les emprunteurs, qu’il s’agisse des ménages, des entreprises ou du gouvernement. En effet, si le bond des primes à terme se poursuit, il pourrait se révéler destructeur pour l’expansion économique et les marchés des actions et du crédit.

Quelques informations essentielles sur les obligations

Les taux d’intérêt observés à long terme (souvent baptisés rendements nominaux des obligations) peuvent être décomposés en 3 éléments : 1) l’évolution du taux court réel neutre ; 2) la compensation de l’inflation prévisionnelle ; et 3) la prime à terme.

Le taux réel neutre est le taux corrigé de l’inflation qui stimule ou freine l’activité économique. Il doit prévaloir lorsque l’économie est à l’équilibre, c’est-à-dire qu’elle jouit du plein emploi et d’une stabilité des prix.

Toutefois, lorsque les épargnants prêtent de l'argent aux emprunteurs, ces derniers doivent également tenir compte de l’inflation. L’inflation érode la valeur nominale de leurs emprunts.  Les taux d’emprunt (sous la forme de prêts ou d’obligations) intègrent donc une prévision de l’inflation future, où les prêteurs accroissent le taux réel lors de la prolongation de crédits.

Enfin, les prêteurs, qu’il s’agisse de particuliers, de banques ou d’obligataires, exigent généralement une compensation supplémentaire en raison des incertitudes et de la probabilité que la valeur des crédits à long terme (obligations par ex.) fluctue davantage que celle des crédits à court terme. À titre d’exemple, le cours d’une obligation à 10 ans variera davantage en réponse à une variation des taux d’intérêt que le cours d’une obligation à 2 ans. À titre de compensation contre les incertitudes et la volatilité des prix, les prêteurs à long terme rajoutent également un taux de rendement supplémentaire couramment baptisé « prime à terme ». Cette prime à terme explique pourquoi la pente des courbes des taux est généralement haussière, reflétant les taux d’intérêt supérieurs des obligations à longue échéance par rapport aux emprunts à courte échéance.

Mais il y a un hic : les taux réels, les prévisions d’inflation et les primes à terme sont inobservables, ce qui n’empêche pas les économistes intelligents et les spécialistes obligataires d’essayer de les estimer sur la base d’autres séries de données. À l’aide de diverses approches analytiques, il est possible d’obtenir des estimations raisonnables de ces 3 indicateurs.

La prime à terme

Grâce à des estimations du taux réel neutre et de l’inflation prévisionnelle, il suffit de soustraire ces deux chiffres du rendement obligataire observé pour parvenir à la prime à terme. Le graphique suivant présente une telle estimation de la prime à terme établie par la Banque fédérale de réserve de New York et de son évolution depuis 2009.

La prime à terme a enregistré une forte hausse

Prime à terme des bons du Trésor américain à 10 ans
D’août 2009 à octobre 2023

Sources : Banque fédérale de réserve de New York. Macrobond. Les performances passées ne constituent pas un indicateur ni une garantie des résultats futurs.

À noter que depuis la mi-juillet, la prime à terme a bondi, progressant de 1,3 points de pourcentage, soit une évolution qui explique encore plus la hausse observée des taux nominaux des obligations. Cela s'explique par la baisse simultanée des indicateurs du taux réel et de la faible progression de l’inflation prévisionnelle.

Il est d’autant plus remarquable de constater que les primes à terme ont été négatives pendant la plupart de la dernière décennie, ce qui s’oppose totalement à la théorie qui veut que les prêteurs doivent être compensés pour les crédits qu’ils accordent à long terme.

La prime à terme négative observée ces dernières années reflète plusieurs facteurs particuliers, dont le plus important probablement sont les politiques monétaires de la Fed et des autres banques centrales. Elles comportaient deux éléments : 1) des rachats d’actifs à grande échelle baptisés « assouplissement quantitatif » ; et 2) les « forward guidance » à savoir de solides garanties que les taux d’intérêt extrêmement faibles et l’assouplissement quantitatif resteraient en vigueur pendant très longtemps (c’est-à-dire jusqu’à ce que le plein emploi et la stabilité des prix aient été durablement restaurés). 

Par voie de conséquence, les prêteurs « savaient » que les taux d’intérêt demeureraient à de faibles niveaux, ce qui supprimait l’incertitude qui aurait probablement prévalu en temps normal. En outre, les prêteurs n’avaient pas à se tracasser beaucoup de la volatilité de leurs obligations à long terme dans la mesure où les mesures des banques centrales clouaient fermement au sol les taux courts et longs. Les politiques monétaires extraordinaires ont dans les faits écrasé les primes à terme, c’est-à-dire la compensation que les investisseurs auraient exigé en période d’incertitude et de volatilité.

Comme nous l’avons indiqué précédemment, les composantes des taux nominaux des obligations ne peuvent pas être observées, ce qui laisse la place au doute. À titre d’exemple, en utilisant une méthodologie différente, la Banque fédérale de Richmond a développé un indicateur du taux réel neutre qui, en contraste avec celui produit par la Fed de New York, indique que ce taux a récemment progressé. Si tel est le cas, alors la prime à terme n’a pas été la seule raison de la récente flambée des rendements obligataires.

Toutefois, nous pensons que l’approche de la Fed de New York consistant à dissocier les rendements obligataires est plus persuasive. Pour l’exprimer le plus simplement possible, si les estimations de la Fed de Richmond d’une hausse du taux réel neutre étaient correctes, cela impliquerait que l’économie aurait accélérée.

Cela semble peu probable car peu de preuves montrent que les données imminentes sur la productivité justifient cette conclusion. Pour des raisons démographiques bien connues, la croissance de la main d’oeuvre a ralenti. Et si la croissance tendancielle s’accélérait, pourquoi aurait-elle soudainement bondi à la mi-2023 ? Enfin, et peut-être plus important encore, si l’économie américaine devait soudainement enregistrer une croissance non inflationniste plus rapide, le marché d’actions devrait bondir. Or il s’inscrit en repli depuis la mi-2023.

En bref, les estimations de la Fed de New York sur le taux réel neutre et, par extension, sur la prime à terme sont plus étroitement alignées avec d’autres statistiques sur l’économie et les marchés. La prime à terme nous semble être le principal coupable de la hausse des rendements obligataires de ces derniers mois.

Autres facteurs

Certains observateurs ont avancé que le dernier bond des rendements obligataires était associé aux variations de l’offre et de la demande d’obligations. Fait peu étonnant : Alors que la Fed et les autres banques centrales diminuaient leurs achats d’obligations (et leurs positions sur les obligations en ne remplaçant pas celles qui arrivent à échéance), les gouvernements de la planète ont pâti de déficits élevés qui nécessitaient de plus fortes émissions obligataires. Aux États-Unis, le calendrier des émissions est devenu particulièrement chargé en 2023, le Trésor ayant dû remplacer une trésorerie très faible en début d’année au moment où il essayait d’empêcher un défaut des États-Unis du au report par le Congrès du relèvement du plafond d’endettement.

Toutefois, ces informations ont été connues pendant la plupart de cette année, même au deuxième trimestre 2023 où les taux d’intérêt étaient sensiblement inférieurs à aujourd’hui. Dans ce contexte, les observateurs pour qui une conjugaison de durcissement quantitatif et de déficits budgétaires élevés expliquent la hausse des rendements obligataires restent sans réponse à la question « mais pourquoi maintenant ? » À notre avis, la date de la dernière flambée des rendements obligataires est difficile à expliquer simplement en termes d’offre et de demande. Pour finir, il convient de rappeler que l’économie américaine a fortement bien résisté aux relèvements massifs des taux d’intérêt par la Fed depuis début 2022. Les mesures de relance budgétaire, la capacité des ménages à ponctionner leurs épargnes, un marché du travail tendu et une plus forte dépendance à l’égard des emprunts à taux fixe (protégeant pendant un certain temps les ménages et les entreprises d’une hausse des coûts d’emprunt) expliquent cette résilience. Mais en conséquence, la Fed a clairement signalé que sa politique demeurerait tendue pendant plus longtemps. La détermination de la Fed à voir l’économie fléchir pour s’assurer d’atteindre son objectif d’inflation a probablement contribué à la hausse des rendements car elle a écarté tout espoir de baisse des taux en 2024. Pourtant, reste à savoir pourquoi les rendements des obligations à 10 ans voire même à 30 ans devraient réagir si fortement aux variations des prévisions de taux d’intérêt au cours des trimestres qui suivront. Par conséquent, même des taux élevés pendant plus longtemps ne peuvent pas pleinement expliquer la hausse observée des rendements obligataires depuis juillet.

Conséquences pour l’investissement

Nous concluons par conséquent en affirmant que la hausse des primes à terme explique la progression des rendements obligataires. S’agissant de l’économie, il est important de souligner que la résilience ne dure pas. Les nouveaux emprunteurs et ceux qui doivent renouveler leurs dettes arrivant à échéance devront bientôt payer des coûts d’emprunt sensiblement supérieurs, comme l’a montré l’exemple fourni au début de cet article. Par ailleurs, nous observons des signes de ralentissement du marché du travail.

Des études réalisées par la Banque fédérale de San Francisco montrent que l’épargne excédentaire des ménages est presque totalement consommée. Et des mesures budgétaires supplémentaires sont peu probables compte tenu de l’impasse budgétaire à Washington. Par voie de conséquence, une économie qui était certainement vouée à ralentir présente désormais un risque supérieur de récession, ce qui compte pour les investisseurs en actions et dans le crédit dont la valeur des actifs dépend des bénéfices des entreprises. Avant le dernier bond des taux d’intérêt, les observateurs étaient de plus en plus optimistes à l’égard des prévisions de hausse des bénéfices des entreprises plus tard cette année et en 2024. Cet optimisme a permis aux marchés d’actions de générer de solides gains en 2023. Désormais, les investisseurs doivent se demander si ces prévisions n’étaient pas trop optimistes.

L’augmentation des rendements américains a également dopé la valeur du dollar. Toutes autres choses étant égales par ailleurs, son appréciation tend à peser sur les cours des matières premières. Et bien entendu, les cours du pétrole ont récemmment plongé. Dans un même temps, un dollar vigoureux n’est pas le bienvenu dans certaines régions du monde. Le Japon serait intervenu pour empêcher le yen de passer en dessous de la barre de 150 face au billet vert. Les marchés émergents des actions et des obligations se portent généralement mal lorsque le dollar s’apprécie trop. Enfin, aucune région n’a été épargnée par la hausse des rendements imputable à la progression des taux américains. Les rendements obligataires de la zone euro, dont le niveau témoigne déjà d’une récession, sont en phase de progression.

Résumé

Les taux obligataires ont flambé. De nombreuses explications ont été apportées. À notre avis, cet évènement s’explique principalement par les primes à terme. Mais quel qu’en soit la cause, son effet est surtout désagréable. Sauf si les taux obligataires baissent dans des fourchettes inférieures, la croissance mondiale devrait ralentir, les prévisions bénéficiaires subiront des pressions, et les risques sur les marchés d’actions et du crédit augmenteront. 

Stephen Dover, CFA
Chief Market Strategist,
Franklin Templeton Institute



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