CIO VIEWS
CONTRIBUTEURS

Sonal Desai, Ph.D.
Chief Investment Officer,
Portfolio Manager
Connaissez-vous le dicton: « Il ne faut pas se battre avec la Fed » ? Ce fut longtemps un principe clé couramment répandu sur les marchés financiers, transmis par les traders les plus expérimentés aux plus jeunes, un précepte répété dans d'innombrables interviews dans les médias. Si la Réserve fédérale (Fed) annonce une décision et que vous pariez contre, la logique veut que vous perdiez de l'argent.
Il semble désormais que cette logique ne soit plus d'actualité. Elle était pourtant incontestable lorsque la Fed a annoncé son engagement à adopter une politique monétaire accommodante. Mais maintenant que la banque centrale signale son intention de maintenir une politique restrictive pendant encore un certain temps, la plupart des investisseurs sont tout à fait prêts à parier le contraire. Les marchés tablent actuellement sur des réductions importantes des taux d’intérêt : plus d'un point de pourcentage entre aujourd'hui et janvier 2024. Les bons du Trésor américain ont à nouveau gagné du terrain, malgré le rapport sur l'indice des prix à la consommation (IPC) d'avril qui a montré que l’inflation globale et sous-jacente étaient restées globalement stables à environ 5 % et 5,5 %, respectivement (4,9 % pour l’inflation globale, pour être précis).
Lors du cycle de resserrement en cours, les marchés se sont le plus souvent opposés à la Fed, que ce soit en prévoyant un pic des taux plus bas, un assouplissement plus rapide de la politique ou encore des baisses de taux plus marquées. Les marchés ont-ils raison ?
Le marché table sur une baisse des taux dès septembre

Anticipation du marché, sur la base des contrats à terme sur les Fed funds Sources : Recherche de Franklin Templeton Fixed Income, banque de la Réserve fédérale de New York. Rien ne garantit que les estimations ou prévisions se réalisent. Consultez le site www.franklintempletondatasources.com pour obtenir des informations supplémentaires sur les fournisseurs de données.
Ce bras de fer entre les marchés et la Fed reflète également les incertitudes très élevées signalées par l’équipe de Franklin Templeton Fixed Income depuis un certain temps, à la fois sur l'environnement macroéconomique et sur le pilotage de la politique.
Pour moi, trois facteurs clés d'incertitude détermineront finalement si les investisseurs se sont trompés de combat.
Premier facteur : Les perspectives de croissance. Parier sur d’importantes baisses de taux d'ici le début de l'année prochaine se justifie si l'on estime que l'économie va s’enfoncer dans une récession très sévère. Cette issue est toujours selon moi improbable. L’économie a certes été frappée par des tendances obstinément négatives : la hausse des taux d'intérêt, l'érosion du pouvoir d'achat due à l'inflation et, plus récemment, les turbulences dans le secteur bancaire.
Mais dans l'ensemble, l'économie américaine continue de faire preuve d’une capacité de résistance impressionnante. La consommation des ménages reste particulièrement dynamique. Les tensions sur le marché du travail ne cessent de se renforcer, avec un taux de chômage de 3,4 % en avril, le plus bas depuis mai 1969, à égalité avec le mois de janvier.1 Et le taux d'emploi des 25-54 ans est proche de niveaux historiques. En ce qui concerne les perspectives des entreprises américaines, ni les marchés actions ni les spreads de crédit des émissions privées ne semblent anticiper un effondrement. Les récentes turbulences dans le secteur bancaire ont clairement augmenté le risque d'un resserrement plus prononcé du crédit, qui pourrait freiner la croissance, et ce risque ne doit pas être écarté. Cependant, à ce stade, le signe de danger le plus évident est une baisse significative des cours de bourse des banques régionales. Bien que préoccupante, cet événement n'annonce pas en soi un resserrement généralisé du crédit ; en effet, l’Enquête d'opinion auprès des responsables du crédit ne montre toujours qu'un resserrement très progressif des conditions de crédit. Une récession profonde justifierait un changement de cap rapide de la part de la Fed, mais cela semble peu probable, ni correspondre aux anticipations des marchés du risque.
Deuxième facteur : L’inflation et les taux d'intérêt réels. Supposons que l’inflation baisse plus rapidement que prévu. Cela pourrait justifier un changement de cap, mais il faudrait que l'inflation baisse rapidement et fortement pour permettre l’ampleur de la baisse des taux anticipée par le marché. Dans ses projections économiques de mars, le Comité fédéral de l'open market (FOMC) a estimé que la croissance des dépenses personnelles de consommation (PCE) se situerait entre 3,5 % et 3,9 % d'ici la fin de l'année et a prévu un taux des fonds fédéraux supérieur à 5 % (5,1 %-5,6 %), proche de son niveau actuel (5,00 %-5,25 %).
Le dernier chiffre de l'indice PCE sous-jacent (mars) était de 4,6 %. Même si la Fed pourrait se montrer plus conciliante après les turbulences bancaires, il faudrait que l'indice PCE sous-jacent tombe brusquement et rapidement en dessous de 3 % pour que la Fed accepte de réduire ses taux de plus d'un point de pourcentage. Là-encore, ce n’est pas impossible, mais très improbable selon moi. Le rapport sur l'IPC d'avril, qui vient d'être publié, confirme que le rythme de la désinflation reste extrêmement lent : L’indice global et l'indice sous-jacent ont augmenté de 0,4 % en variation mensuelle, et ont tous deux légèrement baissé de 0,1 %, pour s’établir respectivement à 4,9 % et 5,5 %.
L'inflation sous-jacente dans le secteur des services (hors logement) a enregistré une baisse plus marquée, car la diminution des prix de certaines composantes comme les hôtels, les billets d'avion, les restaurants et l'ameublement a montré que les consommateurs commençaient peut-être à réduire un peu leurs dépenses. Il ne s’agit cependant que d’une statistique unique et, par ailleurs, les prix sous-jacents des biens continuent d'augmenter. À ce rythme, il faudra beaucoup, beaucoup de temps pour revenir à 2 %. Et compte tenu de ces chiffres, le taux d'intérêt directeur est à peine supérieur à l'inflation globale. Le taux d'intérêt réel devrait effectivement être calculé sur la base de l'inflation anticipée, qui est plus faible, mais les précédentes phases efficaces de désinflation ont toutes exigé que le taux directeur soit supérieur à l'inflation « immédiate », et ce niveau vient à peine d’être atteint. Une fois de plus, cela montre que la Fed ne devrait pas se presser pour abaisser les taux, même si la désinflation progresse lentement.
Le troisième facteure d’incertitude est lié à la volonté de la Fed de lutter contre l’inflation. Au cours des quinze dernières années, la Fed a toujours adopté - par défaut - une position très accommodante, ce qui pourrait amener les investisseurs à penser qu'une fois l'urgence de l'inflation passée, elle pourrait à nouveau aller dans ce sens afin de minimiser les risques pour la croissance et les prix des actifs. La communication même de la Fed au cours de ce cycle de hausse a parfois laissé à penser que cela pourrait bien être le cas.
Cependant, les temps ont changé. La crainte inflationniste s'est déjà avérée plus grave et plus persistante que la Fed ne l'avait initialement prévu, et les récentes turbulences dans le secteur bancaire nous rappellent humblement les risques qui peuvent s'accumuler pour la stabilité financière à la suite d'une politique monétaire trop accommodante. Une perspective commence à s’ancrer dans l’esprit des investisseurs : même si l'inflation renoue avec l’objectif de la Fed, la politique monétaire ne doit en aucun cas revenir à la situation d'urgence post-crise financière mondiale et post-pandémie.
Résumé : À mesure que les incertitudes macroéconomiques vont se dissiper, je pense que nous allons obtenir de nouvelles preuves qu’une récession modérée, et non pas profonde, se profile et que le processus désinflationniste restera très lent. Si ce scénario se concrétise, les marchés financiers comprendront qu'ils se sont trompés de combat et qu'ils auraient dû se fier au dicton : Ne jamais se battre avec la Fed.
Notes de fin
- Source : Bureau of Labor Statistics. Taux de chômage d’avril (5 mai 2023)
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