CONTRIBUTEURS
Robert O. Abad
Q : En raison de rendements difficiles à atteindre et d'un excès de portage qui n'a pas permis d'amortir systématiquement l'élargissement des spreads, les titres à revenu fixe ont énormément souffert au cours du premier trimestre de l'année civile. Par ailleurs, les évolutions sur le front macroéconomique se sont multipliées. Sachant tout cela, que prévoit actuellement Western Asset pour l'économie mondiale dans son ensemble ? Avec des taux qui commencent à évoluer aux États-Unis et dans la plupart des économies occidentales et une inflation qui commence à peser, où et comment positionnez-vous les portefeuilles pour générer de la performance ?
R : Il est important de ne pas oublier à quelle vitesse nous sommes arrivés à un stade où les marchés se focalisent entièrement sur les inquiétudes liées à l'inflation. Fin 2021, la croissance mondiale était en passe de se rétablir après près de deux ans de revers liés au COVID-19. À l'époque, certaines rumeurs évoquaient une pression inflationniste aux États-Unis en raison de la persistance de goulets d'étranglement dans la chaîne d'approvisionnement, ainsi que et certaines inquiétudes liées à l'inflation en Europe suite à une hausse des prix de l'énergie résultant de perturbations de l'approvisionnement en gaz, mais on ne s'attendait à rien de bien extraordinaire.
Au début de l'année 2022, nous pensions que la reprise mondiale se poursuivrait, mais sans véritable élan inflationniste dans la mesure où ces goulots d'étranglement se résorbaient avec le temps. Nous savions aussi que depuis ce moment, des facteurs séculaires persistants continuent à opérer en coulisse, notamment l'endettement élevé des pays, le vieillissement démographique et le glissement technologique en cours ; tous ces facteurs contribuent généralement à modérer la pression inflationniste et à maintenir les taux à long terme dans leur fourchette.
Cependant, en quatre à cinq mois à peine, nous avons connu deux événements majeurs qui ont encore accentué le scénario de l'inflation et compromis sérieusement les perspectives de croissance mondiale : L'invasion de l'Ukraine par la Russie en février (qui a poussé les prix du pétrole et des produits agricoles vers de nouveaux sommets) et, plus récemment, le confinement total des principales villes manufacturières en Chine en raison de l'augmentation des cas de COVID-19 (qui a exacerbé le problème de la chaîne d'approvisionnement).
La combinaison de ces évolutions et d'autres facteurs singuliers a forcé les principales banques centrales telles que la Réserve fédérale américaine (Fed), la Banque centrale européenne (BCE), la Banque d'Angleterre (BoE) et la Reserve Bank of Australia à se détourner brusquement de leurs positions très accommodantes et à prendre l'inflation à bras-le-corps. Ces mesures soudaines, le pessimisme qu'elles ont déclenché et les gros titres cherchant à sensationnaliser la moindre publication de données macroéconomiques expliquent pourquoi les marchés obligataires mondiaux et les actifs à risque se sont revalorisés de manière si agressive en si peu de temps.
Dans ce contexte, nos prévisions concernant la croissance mondiale jusqu'à la fin de l'année sont un peu plus optimistes que le consensus, qui est actuellement beaucoup plus négatif en matière de croissance et d'inflation. Nous pensons que les banques centrales ont parfaitement conscience des risques d'inflation et qu'elles exploitent tous les outils dont elles disposent (en particulier les indications prospectives) pour y faire face, tout en veillant à ne pas compromettre la croissance économique. Alors que certains pays, comme les États-Unis, ont revu à la baisse leurs mesures de relance budgétaire l'année dernière, on pourrait assister à de nouvelles formes de relance en Chine et dans la zone euro. Ne perdons pas de vue que de multiples paramètres diffèrent fortement d'un pays à l'autre, de sorte que la manière dont notre scénario macroéconomique de base se déploiera pour chacun d'entre eux dépendra beaucoup des trajectoires de l'inflation, de l'impact qu'auront la hausse des taux et les prix élevés sur la croissance et, partant, de la réaction des responsables politiques de chaque pays.
À haut niveau, les principaux marchés sur lesquels nous nous concentrons aujourd'hui sont les États-Unis, l'Europe et le Royaume-Uni, où la gestion active de la duration et de la courbe des rendements est essentielle pour générer une surperformance. Si nous voyons juste quant à la limitation de la croissance mondiale et de l'inflation à l'approche de la fin de l'année, cette conjoncture sera favorable aux marchés émergents (ME), qui ont été ébranlés par la forte hausse des taux et le renforcement du dollar américain, ainsi qu'aux marchés du crédit, qui se sont légèrement assouplis ces dernières semaines.
Nous privilégions les crédits de qualité investment-grade à plus courte échéance, dont les valorisations sont devenues beaucoup plus attrayantes, ainsi que les étoiles montantes dont nous estimons qu'elles présentent de solides perspectives de rendement total. Il s'agit de titres haut rendement notés BB sélectionnés avec soin qui ont le potentiel de revenir à une qualité investment-grade au cours des 12 à 18 prochains mois.
Q : Le président de la Fed, M. Powell, a déclaré que le Comité fédéral de l'Open market (FOMC) n'hésiterait pas à pousser les taux au-dessus du niveau neutre si nécessaire. Le taux neutre aux USA s’établit selon les estimations entre 2 et 3 %. À votre avis, quel serait le taux comptant neutre ?
R : Il faut commencer par admettre que la notion de « neutralité » continue à faire débat. Voici quelques années, un niveau de rendement neutre était celui qui était compatible avec une croissance et une inflation stables à long terme. Ce que l'on a observé, c'est que les rendements obligataires ont terminé la dernière période d'expansion économique à des niveaux bien inférieurs à ce que les modèles de la Fed qualifiaient de neutre. Aujourd'hui, l'adjectif « neutre » renvoie au niveau des taux au-dessus desquels l'inflation commencerait à diminuer. Quand on y pense, cela va nettement plus loin que l'ancienne définition.
Certains experts, comme Larry Summers (qui estime que l'inflation à 5 % est bien installée) pensent que les taux devraient nettement dépasser les 5 % pour que l'inflation commence à ralentir. D'autres, qui estiment qu'une inflation supérieure à 5 % est une aberration et que l'économie est calibrée pour un taux d'inflation permanent de 3 % ou moins, sont d'avis que des taux proches de 3 % sont plus réalistes. Au final, il existe tellement d'opinions dans les deux camps qu'il est difficile de définir clairement le consensus sur le taux neutre. Sachant tout cela, le mieux que l'on puisse dire est que les marchés semblent valorisés pour un taux neutre d'environ 3% ; c'est un chiffre qui nous convient, tout comme l'estimation à long terme de la Fed d'environ 2,5%.
Q : On a beaucoup parlé du risque politique. Outre le fait que la Fed (tout comme peut-être d'autres banques centrales) fait fausse route dans sa stratégie de resserrement et son calendrier, quels sont les principaux risques auxquels nous devons rester attentifs en investissant dans ces classes d'actifs ?
R : Avec tous les gros titres évoquant la hausse des taux, l'inflation et la Russie, le COVID-19 et la possibilité d'une autre épidémie majeure est un risque qui semble avoir été négligé. Des variants sont encore en train d'émerger et l'un d'entre eux pourrait s'avérer suffisamment grave pour que la Chine, mais aussi d'autres pays, recommencent à imposer des restrictions de mobilité ou des confinements qui ralentiront l'économie mondiale plus que prévu. Un tel scénario permettrait certainement d'apaiser les craintes liées à l'inflation et de faire baisser les taux, mais une croissance plus lente que prévu ou une récession généralisée menaçant de compromettre les bénéfices des entreprises pèserait également sur les marchés boursiers ainsi que sur les spreads.
Autre scénario surprise possible : une issue plus rapide que prévu à la crise ukrainienne suite à un brusque retournement de situation en Russie (par exemple un changement de régime). Cette situation pourrait entraîner une forte réévaluation de l'inflation à la baisse, doper les attentes en matière de croissance, et pousser les actifs à risque à la hausse. C'est un scénario qu'il ne faut pas non plus exclure.
Q : Au vu de la volatilité des marchés et de la disparité des réactions politiques qu'elle suscite dans les différentes régions, où se situent selon vous les meilleures opportunités de valeur ajoutée ? Peut-on s'attendre à voir certains secteurs ou certaines régions, par exemple les marchés émergents, se distinguer au cours des 12 prochains mois ?
R : C'est une excellente question. Dans une dislocation du marché comme celle que nous traversons actuellement, on a souvent tendance à se tourner hâtivement vers les classes d'actifs à haut rendement pour trouver des sources potentielles de rendements excédentaires. Mais n'oublions pas que l'incertitude macroéconomique est encore très présente : il ne serait donc pas prudent de se borner à rechercher le rendement.
Nous pensons que les meilleures opportunités peuvent provenir de secteurs délaissés tels que les obligations d'État mondiales et le crédit d'entreprise de qualité supérieure, où les valorisations n'ont pas d'importance (à nos yeux) par rapport aux fondamentaux sous-jacents. Rappelez-vous que les anomalies ou les inefficacités de prix se manifestent généralement lors d'épisodes de liquidation massive visant à obtenir des liquidités pour répondre aux appels de marge ou aux rachats. Notre rôle, en tant que gérant actif, consiste à identifier ces inefficacités et à les exploiter.
Pour récapituler et détailler un peu plus nos convictions les plus fortes, considérez ce qui suit. Aux États-Unis, nous pensons que nous avons probablement atteint le pic de l'inflation de base. La Fed va être confrontée à la fois à une croissance et à des prix plus faibles lorsqu'elle envisagera de resserrer sa politique monétaire au second semestre ; sachant cela, nous pensons qu'il est peu probable qu'elle augmente les taux au-delà de ce qui est actuellement prévu d'ici la fin de l'année.
En Europe, le scénario en matière de croissance et d'inflation est beaucoup plus flou en raison de l'interruption potentielle de l'approvisionnement en gaz naturel provenant de Russie. Même si nous pensons que la BCE reste déterminée à mettre un terme à ses rachats d'actifs, il nous semble qu'il lui sera très difficile de relever ses taux de manière agressive, c'est-à-dire au-delà des 80 points de base prévus d'ici la fin de l'année.
La situation du Royaume-Uni est également assez intéressante. Après quatre hausses de taux, la BoE est en avance sur la Fed et la BCE dans le resserrement de sa politique monétaire, mais ses dernières projections d'inflation indiquent qu'elle risque de manquer largement son objectif si elle procède à une hausse conforme aux attentes du marché. En d'autres termes, nous pensons qu'avant d'envisager toute nouvelle hausse, la BoE va probablement marquer un temps d'arrêt et évaluer l'impact de l'inflation sur la confiance et les dépenses des consommateurs.
Comme on l'a vu, chaque banque centrale se trouve à des stades légèrement différents et cela nous ouvre des opportunités. Nous nous sommes montrés prudents pour les États-Unis, mais avons récemment commencé à renforcer l'exposition front-end. Dans l'Union européenne, nous pensons que les prix incorporent trop de hausses et nous surveillons la duration alors que les rendements du bund allemand ont approché 1%. Au Royaume-Uni, nous avons construit une position de duration longue sur l'hypothèse que la BoE sera prudente dans le resserrement de sa politique au cours des prochains mois. D'une certaine manière, la BoE constituera un test intéressant pour les autres grandes banques centrales.
Si les banques centrales finissent par devoir faire marche arrière et ne peuvent pas resserrer leur politique autant qu'elles le prévoient actuellement, cela devrait soutenir les taux des marchés développés (MD) et les spreads. Tout dépendra de la vitesse et de l'ampleur du ralentissement de la croissance. S'ils sont modérés et progressifs, les ME et les crédits moins bien notés pourraient bien performer. En revanche, dans un scénario plus abrupt, les taux devraient se redresser fortement mais le crédit et les ME seront mis à rude épreuve. Nous privilégions le premier cas de figure, mais tout en admettant que le second devient plus probable.
Q : Enfin, quelles sont les prévisions de Western Asset concernant les rendements de la classe d'actifs d'ici un à deux ans, compte tenu du fait que les rendements obligataires sont désormais nettement supérieurs à leurs niveaux pré-COVID-19 ?
R : Nous pensons que l'inflation sera contenue et diminuera d'ici la fin de l'année, auquel cas on peut raisonnablement envisager que les bons du Trésor américain (UST) - sur lesquels la plupart des investisseurs se concentrent en raison de leurs rendements supérieurs à ceux des autres obligations d'État mondiales - pourraient se rapprocher des niveaux d'avant 2022. Si cela se produit, les rendements des UST et du crédit de qualité supérieure atteindraient au moins les niveaux de rendement actuels. Il n'est pas impossible que les rendement des actifs à duration plus longue soient beaucoup plus élevés.
Pour les classes d'actifs plus risquées telles que le crédit haut rendement, les rendements futurs dépendront non seulement du retour des rendements des obligations d'État à leurs niveaux d'il y a un an, mais aussi du maintien des spreads de crédit dans cet environnement et de leur resserrement au fil du temps. Cette combinaison nécessiterait que la Fed parvienne à contenir l'inflation sans déclencher de récession. D'après notre évaluation de l'environnement macro et de la détermination de la Fed et des autres banques centrales à agir contre l'inflation et à gérer les risques de baisse de la croissance, nous pensons que cette perspective est raisonnable.
DÉFINITIONS
Un spread est la différence de rendement entre deux types de titres obligataires ayant des échéances similaires.
L'acronyme UST est couramment utilisé pour désigner la dette émise par les États-Unis.
Les notations « AAA » et « AA » (qualité de crédit élevée) et « A » et « BBB » (qualité de crédit intermédiaire) sont considérées comme relevant de la catégorie investment grade. Les notations de crédit attribuées aux obligations dont la qualité est inférieure à ces désignations (« BB », « B », « CCC », etc.) renvoient à une qualité de crédit médiocre et les obligations concernées sont communément dites « spéculatives ».
Une étoile montante est une obligation notée comme à haut risque (« junk bond ») mais qui pourrait devenir investment grade en raison de l'amélioration de la qualité de crédit de la société émettrice.
QUELS SONT LES RISQUES ?
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