Pourquoi cet article de The Economist a-t-il été sélectionné ?
L'utilisation de l'innovation pour des applications très complexes comme les semi-conducteurs ouvre la voie à la réflexion sur la manière d'innover également pour des défis de fabrication moins complexes. Cette diffusion à travers les secteurs et les industries constitue un terrain fertile pour la recherche d'idées d'investissement.
- Franklin Templeton Institute
Dans une usine située à la frontière entre la Caroline du Nord et la Caroline du Sud, Stanley Black & Decker assemble des perceuses électriques sans fil. Alors que les forets finis avancent dans des boîtes sur le tapis roulant, un bras robotisé les photographie et les analyse à la recherche de défauts. Un autre robot insère des moteurs électriques dans les boîtiers des foreuses. Un troisième pose et serre les vis. Un seul logiciel supervise l'ensemble de la chaîne de production, capable de produire 130 machines sans fil par heure sous la surveillance de sept personnes seulement. La chaîne de montage qu'elle remplace en Chine nécessitait jusqu'à 40 ouvriers et produisait rarement plus de 100 pièces par heure.
« Dans trente ans, nous nous moquerons de notre génération d'humains qui assemblent des produits à la main », prédit Lior Susan, patron de Bright Machines, une société basée à San Francisco qui s'est occupée d'installer le logiciel de l'usine. Ce n'est pas que la conception des perceuses électriques ou les différentes étapes de leur fabrication aient changé. C’est plutôt le fait que les machines automatisées qui effectuent le travail sont pilotées par des instructions programmées dans des logiciels qui ont en réalité copié le travail du cerveau des ouvriers chinois, qui effectuaient la plupart du temps le travail à la main.
Cette façon de faire ressemble à un modèle appliqué par l'industrie des semi-conducteurs, où les puces sont conçues à l'aide d'un logiciel directement relié au matériel automatisé qui les fabrique. Pour l'usine de Fort Mill et pour les autres entreprises qui commencent à utiliser ces systèmes de fabrication définis par logiciel, ces méthodes préfigurent l'usine du futur, car elles permettent de concevoir des produits plus sophistiqués et de les mettre en production plus rapidement. Et donc de réaliser des économies substantielles.
Fabrique-moi ceci
Pour comprendre pourquoi, prenons une version simplifiée de la fabrication d'un nouvel outil électrique. Un bureau d'études propose un produit innovant, par exemple une batterie qui dure plus longtemps. Il dresse la liste de tous les éléments du nouveau produit qui nécessitent une modification, du compartiment de la batterie à ses circuits internes. C'est un travail complexe, notamment parce qu'une petite modification apportée à un composant peut avoir un impact important sur un autre, et ainsi de suite.
Le projet est ensuite envoyé tel quel aux personnes chargées de la fabrication. Il s'agit parfois d'une usine tierce, souvent située en Chine. Les ingénieurs, les concepteurs et le personnel de production échangent des informations et se rencontrent, améliorant constamment leurs plans en fonction des succès et des échecs rencontrés lors de la réalisation d'une série de prototypes. De petits détails, comme une vis qui ne peut être serrée correctement parce qu'elle est difficile à atteindre avec un tournevis électrique, peuvent entraîner un retour à la planche à dessin — qui, de nos jours, est le plus souvent un programme de conception assistée par ordinateur (CAO).
À terme, tous les problèmes sont résolus (avec un peu de chance) et le nouveau produit est prêt pour la production. Cependant, les détails d'ordre inférieur sur comment cela a été réalisé resteront probablement confinés dans l'esprit des travailleurs chargés du montage des prototypes. Après tout, les êtres humains sont incroyablement flexibles et sont champions pour trouver des solutions de rechange.
Ce processus est utilisé depuis des décennies, mais il est intrinsèquement incertain et désordonné. Les concepteurs ne peuvent pas prévoir avec certitude les éléments que l'usine peut ou ne peut pas facilement accueillir. En conséquence, le bureau d'études peut délibérément laisser certaines caractéristiques dans le flou et se détourner d'idées novatrices par crainte de s'entendre dire qu'elles ne sont pas réalisables ou qu'elles sont excessivement coûteuses.
Lorsque l'équipement est géré par un logiciel plutôt que par des humains, tout change. Les ingénieurs peuvent imaginer de nouveaux produits avec une bien plus grande assurance qu'ils pourront être fabriqués En effet, les contraintes de la chaîne de production — même les détails les plus infimes comme le positionnement des vis — sont encodées dans leurs programmes de CAO. Ces programmes sont à leur tour directement connectés au logiciel qui commande les machines dans l'usine. Ainsi, si un concept fonctionne au sein d'une simulation numérique, il y a de fortes chances qu'il soit également réalisable sur la chaîne de production.
Cette intégration étroite entre le matériel de production et les logiciels de CAO a été un atout dans la fabrication des semi-conducteurs, où de gigantesques machines gravent des circuits dans le silicium sur une largeur de quelques nanomètres (milliardièmes de mètre) seulement. Pour dessiner leurs circuits, les concepteurs de puces de sociétés telles qu'Apple, Nvidia ou Qualcomm utilisent des programmes spécialisés, produits en grande partie par deux entreprises, Cadence et Synopsys. Les fichiers de conception sont ensuite envoyés directement en production aux fonderies de silicium, comme TSMC, à Taïwan.
« Jusqu'à l'arrivée de ces outils, on dessinait les circuits intégrés à la main », explique Willy Shih, de la Harvard Business School. M. Shih évoque l'impossibilité d'y parvenir aujourd'hui avec, par exemple, la puce M1 d'Apple, qui contient 114 milliards de transistors. Produire une telle complexité n'est possible que dans un système où le logiciel permet aux humains d'ignorer les détails et de se concentrer sur la fonction.
Stanley Black & Decker n'a pas encore utilisé ses outils de CAO sur le système de Bright Machines pour concevoir de nouveaux produits. Mais l'idée est de le faire prochainement. « Ce que Cadence et Synopsys ont fait pour les semi-conducteurs, nous le ferons pour la conception des produits », déclare M. Susan de Bright Machines.
Couche après couche
Certaines entreprises ont déjà commencé à concevoir des produits de cette façon. VulcanForms est une fonderie, mais elle fabrique des composants métalliques plutôt que des puces. Elle opère dans un ancien hangar pour avions dans le nord du Massachusetts, où ses énormes machines commandées par ordinateur concentrent 100 000 watts de lumière laser invisible sur un lit de métal pulvérisé. La poudre fond et fusionne en motifs complexes, couche après couche, jusqu'à ce qu'émerge un composant dont les dimensions sont déterminées au centième de centimètre près. Cette pièce peut être une partie du moteur d'un drone militaire ou une articulation de prothèse de hanche à la forme parfaite. Il s'agit d'un type de fabrication additive, plus connu sous le nom d'impression 3D. Les machines de VulcanForms sont pilotées par un logiciel de CAO et peuvent produire n'importe quel composant métallique d'un diamètre allant jusqu'à environ cinquante centimètres.
« Après m'être familiarisé avec les activités de VulcanForms, j'ai pu observer des schémas prévisibles qui reflétaient certains des enseignements tirés des semi-conducteurs », explique Ray Stata, fondateur d'Analog Devices, un fabricant américain de puces et membre du conseil d'administration de la fonderie. Dans la fabrication de puces, dit-il, le logiciel reliant le concepteur et le fabricant a permis de réaliser d'énormes gains en termes d'efficacité et d'économies d'échelle.
VulcanForms utilise un logiciel de nTopology. Cela permet aux personnes qui n'ont pas les compétences requises pour utiliser des lasers de concevoir des objets destinés à être produits par la fonderie. On peut ainsi arriver à des composants aux performances jusqu'alors inégalées, car ils peuvent être produits sous forme de structures géométriques complexes impossibles à fabriquer autrement, explique John Hart, directeur technique de VulcanForms. Des objets peuvent être créés en grandes quantités, par exemple pour forger 1000 implants rachidiens à partir d'un seul lit de poudre. Avec la fabrication additive, les produits peuvent également être fabriqués en une seule fois, en tant que composants unitaires, au lieu d'être le résultat de l'assemblage de différentes pièces. Cela permet de réduire la quantité de matière nécessaire, les pièces étant généralement plus légères. Les coûts d'assemblage s'en trouvent également réduits.
La fabrication définie par logiciel a un impact sur certains des grands défis commerciaux et politiques auxquels les entreprises sont confrontées. Pour les entreprises qui se sentent de moins en moins à l'aise à se reposer sur les fabricants chinois, cela peut rendre une relocalisation de la production plus viable. M. Susan l'exprime en termes martiaux : « La fabrication est une arme. Lorsque nous donnons des fichiers de conception à la Chine, nous donnons le code source de cette arme à notre ennemi. »
Cela ne sera pas sans conséquence sur l’emploi dans le secteur de la production. Bien que l'automatisation se traduise généralement par une réduction du nombre de personnes nécessaires pour assembler les produits dans l'atelier, elle crée également des emplois. Il faut des techniciens pour programmer et entretenir les systèmes de production, et, dans les bureaux, les entreprises prospères sont susceptibles d'augmenter le nombre de personnes affectées à la conception, au marketing et à la vente. Ces emplois requièrent toutefois des compétences différentes, de sorte qu'un recyclage sera nécessaire.
M. Shih note également que les usines elles-mêmes, et pas seulement les machines-outils et les processus qui s'y trouvent, sont en train de tomber sous l'emprise du logiciel. Il mentionne ainsi Tecnomatix, filiale du géant industriel allemand Siemens, dont le logiciel permet aux concepteurs d'aménager une usine entière pour simuler la fabrication de nouveaux produits dans un environnement virtuel appelé « jumeau numérique » avant que la fabrication ne soit lancée dans son équivalent physique.
Si l'avenir de la fabrication suit celui des semi-conducteurs, il reste encore du chemin à parcourir. Produire des objets mécaniques n'est pas la même chose que graver des circuits élaborés qui n'ont pas de pièces mobiles. Déjà, les processus sont beaucoup moins normalisés, les composants ayant toutes sortes d'utilisations finales. « Nous ne faisons que commencer avec les structures mécaniques », déclare M. Stata. « Dans son ensemble, le processus d'assemblage de matériaux par méthode additive n'en est qu'à ses débuts. La flexibilité et les possibilités qui s'ouvrent sont époustouflantes. »
On commence cependant à en percevoir certaines implications. Les produits pourraient atteindre un niveau de performance et de précision qui est tout simplement impossible à atteindre lorsque leur production est limitée par la main de l'homme. La conception bidimensionnelle des ateliers destinés à accueillir des travailleurs humains appartiendra au passé. Les usines conçues par logiciel seront des lieux tridimensionnels plus denses et beaucoup plus complexes, emplis de réseaux de machines à la productivité et à l'automatisation très poussées.
Ces usines du futur pourraient être des lieux presque déserts, occupés par une poignée de techniciens. Mais comme les logiciels prennent également en charge les subtilités de la production, ils seront plus faciles à utiliser par les personnes qui conçoivent et mettent au point les nouveaux produits. Ce qui devrait libérer leur imagination et leur permettre d'atteindre de nouveaux sommets.
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