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Au vu de la récente baisse des taux d’intérêt appliquée par la Réserve fédérale, Sonal Desai, Chief Investment Officer de Franklin Templeton Fixed Income, se penche sur l’évolution de la philosophie de la banque centrale américaine et sur le risque que les taux d’intérêt se rapprochent trop de zéro. Selon elle, les risques de déflation sont surestimés et un assouplissement de la politique monétaire accentuera les distorsions sur les marchés financiers.

D’après moi, la baisse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale (Fed) le mois dernier n’était pas nécessaire. J’estime que l’économie américaine se porte bien, que les risques de déflation sont exagérés et que l’assouplissement de la politique monétaire augmentera les distorsions sur les marchés financiers. Je tiens cependant à signaler une inquiétude plus vive : Je crains que la politique monétaire ait perdu son point d’ancrage et que la Fed manque de conviction et d’orientation. Dans cet article, j’en expose les raisons et les implications pour les investisseurs.

Aujourd’hui, le cadre de la politique monétaire de la Fed semble dénué de conviction.

Les banques centrales craignent souvent que les attentes liées à l’inflation perdent leur point d’ancrage.

Je crains que ce soit le cas pour la politique monétaire proprement dite.

Lors de sa réunion de juillet, la Fed a présenté tout un panel d’arguments pour justifier sa décision de réduire les taux : (1) se prémunir contre les incertitudes entourant le commerce mondial ; (2) stimuler l’inflation ; et (3) dynamiser encore plus le marché du travail. Autant d’arguments qui permettent à la Fed de choisir… Et d’ignorer les données qui montrent une économie robuste alimentée par une forte croissance de l’emploi et de la consommation.

Dans la ligne de mire

Je soutiens que la Fed a simplement cédé à la pression du marché. Robert Barro, de Harvard, a laissé entendre qu’elle a peut-être cédé aux pressions politiques.1  Ces deux théories s’équivalent du point de vue de l’observation, puisque tant les marchés que les politiciens réclament des taux d’intérêt plus bas.

On est plus susceptible de céder à la pression quand on manque de conviction vis-à-vis de ses propres idées. De plus, la conviction quant à ce que la politique monétaire doit s’efforcer d’atteindre, et à la façon dont elle doit le faire, semble s’être évaporée.

L’inflation et les rendements obligataires sont restés faibles malgré le redressement de l’économie américaine. Cela a conduit de nombreux chercheurs et acteurs du marché à soutenir que le taux d’intérêt réel d’équilibre (« r-star ») est désormais inférieur à ce qu’il était auparavant2 , et qu’avec une inflation faible, le taux d’intérêt nominal de la Fed sera lui aussi inférieur, potentiellement trop proche de zéro, ce qui l’empêcherait de réduire suffisamment ses taux pour compenser une récession.

La crainte de la « borne du zéro »

Les économistes Olivier Blanchard et Lawrence Summers avancent un argument semblable, selon lequel la politique monétaire peut faire plus que réguler les hauts et les bas du cycle : elle peut façonner la croissance à long terme.3  Si l’économie s’échauffe davantage, les investissements augmenteront, et un plus grand nombre de personnes rejoindront la population active et acquerront de nouvelles compétences ; cette augmentation des dépenses en capital et du capital humain stimulera la croissance potentielle. Une récession prolongée aura l’effet inverse. Dans le jargon des économistes, il y a un « effet d’hystérèse ».

Ces propos ont alimenté un riche débat sur la question de savoir si et comment modifier le cadre de la politique monétaire de la Fed. Entre un objectif d’inflation plus élevé, un objectif de niveau de prix ou un objectif de PIB nominal, les propositions abondent. Il semble y avoir un consensus sous-jacent selon lequel (i) la déflation et la stagnation séculaire constituent les principaux risques, et (ii) la Fed doit viser une inflation plus élevée, peut-être autour des 4 à 5 %.

Je considère que ce débat est utile. À mesure que l’économie évolue, les économistes et les décideurs doivent s’efforcer d’en comprendre la dynamique.

Le fétichisme de l’inflation

Ce nouveau fétichisme de l’inflation me laisse toutefois perplexe. Prenons un peu de distance : qu’est-ce que nous, en tant que société, souhaitons atteindre ? Et donc, que devraient rechercher les décideurs politiques ?

L’objectif devrait être le plein emploi et une évolution plus rapide du niveau de vie du plus grand nombre possible de personnes. En ce qui concerne l’inflation, nous souhaitons simplement qu’elle ne s’y oppose pas. Pour cela, elle doit être faible et stable. La Fed et d’autres grandes banques centrales s’étaient mises d’accord sur un objectif de 2 % en considérant ce qui suit :

  • L’inflation doit être suffisamment basse pour rester stable (une inflation plus élevée a tendance à être plus volatile) et ne tracasser personne, de façon à ne pas fausser les décisions en matière de consommation et d’investissement ;
  • Elle ne doit pas être trop proche de zéro, car dans un monde où certains salaires et prix ne baissent pas en termes nominaux, une inflation positive est nécessaire pour que les prix relatifs s’ajustent.

C’est exactement ce qui s’est passé au cours des vingt dernières années : les consommateurs et les entreprises pouvaient plus ou moins ignorer l’inflation et rien ne nous prouve qu’une inflation faible a entraîné une mauvaise affectation des ressources en empêchant les prix relatifs de s’ajuster.

J’estime que les craintes d’une déflation sont exagérées. Ni les États-Unis ni l’Europe n’ont connu de déflation prolongée, pas même pendant la récession mondiale de 2009 ou la crise de la dette européenne. Le faible niveau d’inflation n’a pas empêché l’économie américaine de retrouver le plein emploi, ni la zone euro de surpasser son potentiel de croissance pendant quatre ans.

Au Japon, cas d’école des dangers de la déflation, la croissance réelle par habitant entre 1991 et 2018 était en moyenne de 0,9 % par an, bien inférieure à celle des États-Unis et du Royaume-Uni (1,5 %), mais à peine plus faible que celle du Canada (1,2 %) et de la France (1,1 %).4   La déflation ne semble pas être la pire menace pesant sur la hausse du niveau de vie.

Japon : La déflation n’est pas synonyme de stagnation

En revanche, j’estime que les coûts et risques liés au passage à un objectif d’inflation plus élevé sont trop volontiers ignorés. Avec un taux d’inflation de 2 %, il faut compter 10 ans pour que les prix augmentent de 20 %. Si l’on monte à 4-5 %, ils progresseront de 20 % en 4 à 5 ans seulement. Ils augmenteront de 50 à 60 % en 10 ans et doubleront en 14 à 15 ans. Il n’est plus possible d’ignorer l’inflation, surtout parce qu’elle sera probablement beaucoup plus volatile qu’elle ne l’est actuellement. En effet, l’ancien président de la Fed, Ben Bernanke, a fait remarquer que les 4 % pourraient ne pas être conformes au mandat de stabilité des prix de la Fed.5 

Inflation : Attention à ce que vous souhaitez

En outre, dans la mesure où le progrès technologique ou la mondialisation freinent la dynamique des prix, il se pourrait qu’il ne soit possible ni souhaitable de stimuler l’inflation.6 

L’assurance n’est pas gratuite

Mais quel risque des taux d’intérêts trop proches de zéro impliquent-ils ?

En premier lieu, nous avons découvert l’assouplissement quantitatif (QE), qui a fonctionné comme prévu. Ce mécanisme pousse les investisseurs privés vers des actifs plus risqués, ce qui réduit le coût de financement d’un plus large éventail de sociétés et de projets d’investissement et stimule la richesse des consommateurs en augmentant le prix des actifs.

Oui, il est préférable de réduire les taux. Mais s’il est si risqué d’avoir des taux proches de zéro, pourquoi la Fed s’empresse-t-elle de les réduire alors que l’économie est encore forte ?

Ceux qui prescrivent des taux d’intérêt plus bas et une inflation plus élevée ont également tendance à rejeter d’emblée l’impact potentiel de la politique monétaire sur la stabilité financière et les prix des actifs. Cette réaction est étrange. D’une part, ils soutiennent que le risque de crises financières a augmenté, et que c’est une raison de plus pour réduire les taux au plus vite. D’autre part, ils refusent de reconnaître que la politique monétaire accommodante pourrait contribuer à la formation de bulles spéculatives.

La politique monétaire était accommodante à la veille de la bulle boursière de la fin des années 1990 et des bulles du logement et du crédit des années 2000, mais ce n’était peut-être qu’une coïncidence. Je sais qu’il est difficile de juger si les prix des actifs ont une longueur d’avance sur les fondamentaux, mais lorsqu’ils répondent principalement aux attentes des changements de taux de la Fed, ne devrions-nous pas au moins prendre le temps de la réflexion ?

Les recherches récentes de Goldman Sachs confirment que « l’achat d’assurance » avec des baisses de taux préventives accentue les distorsions sur les marchés financiers, sans parler d’un gaspillage de ressources dont la Fed pourrait avoir bien besoin. Et d’ailleurs, tout comme une profonde récession peut miner la croissance à long terme en raison des effets d’hystérèse décrits plus haut, les recherches de la Banque des règlements internationaux (BRI) montrent que les longues périodes d’envolée du crédit entraînent une mauvaise allocation des ressources, ce qui nuit à la productivité et à la croissance à long terme.7 

L’autre hystérèse : Les booms financiers nuisent à la croissance de la productivité

Pour les investisseurs, les fondamentaux restent un point d’ancrage à long terme

Vous connaissez mon point de vue : J’estime que l’économie américaine se porte bien, que les risques de déflation sont exagérés et que l’assouplissement de la politique monétaire augmentera les distorsions sur les marchés financiers.

Mais la question n’est pas là. Le fait est que le débat que j’ai résumé ci-dessus explique peut-être pourquoi la politique monétaire a perdu son point d’ancrage et pourquoi la Fed manque de conviction et d’orientation. Les responsables de la politique monétaire sont perplexes face à la disparition de l’inflation ; ils craignent une déflation jamais vue auparavant ; ils aimeraient croire qu’ils peuvent stimuler la croissance à long terme, mais sans en être certains ; ils ne veulent pas croire que la politique monétaire peut provoquer des bulles financières, mais au fond ils se posent sûrement des questions.

Si la politique monétaire a perdu son point d’ancrage, le travail des investisseurs en devient bien plus complexe. Et les incertitudes persistantes ne font qu’aggraver la situation. Après que la Fed ait expliqué qu’elle avait tenu compte des incertitudes commerciales dans sa décision de baisser les taux d’intérêt, le président Trump (qui a ouvertement exprimé son désir de voir baisser les taux) a rapidement annoncé une nouvelle série de taxes douanières sur les importations chinoises. Les marchés boursiers se sont d’abord repliés, puis redressés dans l’espoir qu’une plus grande incertitude commerciale entraîne un nouvel assouplissement monétaire.

Pour le moment, il semble essentiel d’anticiper les constants changements d’humeur de la Fed. Mais une fois qu’il aura plié la Fed à sa volonté, le marché se tournera probablement à nouveau vers l’évaluation des fondamentaux. Le comportement actuel de la Fed est en grande partie influencé par l’évolution économique de la période qui a suivi la crise financière. Les fondamentaux économiques actuels et futurs finiront par se répercuter sur le comportement de la Fed et devraient jouer un rôle plus important dans l’évolution des prix des actifs, tant directement qu’indirectement.

Notre défi consiste à maintenir un regard sobre sur les fondamentaux tout en évaluant les marchés qui jouent au chat et à la souris avec la Fed.



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