CONTRIBUTEURS

David Zahn, CFA, FRM
Head of European Fixed Income
Une partie de notre travail en tant qu'analystes obligataires peut se résumer en une phrase : « faire confiance, c'est bien, vérifier, c'est mieux ». Lorsque nous décidons d'investir, nous avons bon espoir qu'un gouvernement nous rendra notre capital plus les intérêts, sans exception. Mais il n'est pas question d'une confiance aveugle. Nous avons besoin d'indicateurs économiques véri-fiables. Toutefois, les gouvernements changent. Les nouveaux politiciens proposant des programmes originaux ont tout aussi bien le pouvoir de nous redonner confiance que celui de susciter des craintes.
L'UE va-t-elle s'effondrer ou rester unie?
Il fut un temps où les obligations garan-ties par la promesse de pleine foi et le gage de crédit d'un gouvernement étaient généralement considérées comme moins risquées que les obligations des sociétés. Les temps ont changé. Dans le climat politique actuel, les gouvernements ne nous inspirent pas tous le même degré de confiance.
Prenons l'exemple de l'Italie. L'année dernière, le nouveau gouvernement de Rome était soucieux de tenir sa promesse d'annuler les réformes des retraites et d'offrir un revenu citoyen aux chômeurs. Très populaire auprès des électeurs, le budget proposé par l'Italie a ébranlé les marchés obligataires et frustré les diri-geants de l'Union européenne (UE) à Bruxelles. Les manchettes en Europe et aux É.-U. prédisaient déjà qu'une nouvelle crise de l'euro se profilait à l'horizon.1
La raison principale? Les pare-feux mis en place pour la zone euro, afin d'éviter que la crise de la dette de la zone euro de 2010 à 2012 ne se reproduise, dépendent de l'adhésion de l'Italie à des règles fiscales rigoureuses. Et c'est la dernière chose apparemment que les populistes italiens ne veulent pas faire.
L'affrontement entre l'Italie et Bruxelles a ravivé quelques inquiétudes persistantes quant à la stabilité de l'union monétaire. Si seulement la zone euro adoptait une « union budgétaire » comme les États-Unis, la situation ne serait pas si mauvaise, déclare le Fonds monétaire international (FMI).2 La création d'un gouvernement européen fédéral doté d'une administration fiscale et de dépenses est néanmoins une idée qui polarise profondément l'Europe. Elle met également à nu un fossé profond entre les économies du Nord et du Sud de l'UE.
En tant que société internationale dispo-sant d'équipes dédiées aux titres à revenu fixe en Europe et aux É.-U., nous pensons que la comparaison entre l'UE et les É.-U. offre un point de vue pertinent, qui pour-rait révéler une voie à suivre pour l'Europe. Cela dit, l'approche américaine ne constitue en aucun cas une panacée économique. Les mêmes problèmes de retraite qui ont déclenché la bataille entre l'Italie et Bruxelles risquent d'être encore plus graves aux É.-U. Pour les Européens envieux de l'union budgétaire américaine, nous dirons que l'herbe n'est pas néces-sairement plus verte de l'autre côté de l'Atlantique.
Dans cet article, nous nous intéresserons à la zone euro d'aujourd'hui, en remontant l'histoire des États-Unis depuis la fin du XVIIIe siècle, jusqu'à son parcours mouve-menté vers une union plus heureuse. Nous poursuivrons avec notre analyse ascendante des obligations souveraines italiennes et espagnoles, et expliquerons pourquoi nous pensons qu'elles équi-librent les risques et les rendements, tout du moins pour l'instant.
Un mariage de différences
L'union monétaire est au cœur des nombreux défis de l'UE. Comme un mauvais mariage, l'euro a enchaîné 19 économies nationales qui, selon certains économistes, sont tout simplement trop différentes pour coexister sereinement. Le mariage a été largement prôné pour des raisons politiques, pas forcément pour des raisons de pertinence économique. « Les pays ayant une monnaie commune ne se sont jamais déclarés la guerre », avait déclaré Helmut Kohl, chancelier de l'Alle-magne à la naissance de l'euro.
En examinant certains des pays au monde qui affichent les meilleurs et les moins bons résultats en termes de croissance du produit intérieur brut (PIB), le tableau 1 fait ressortir le dilemme auquel les écono-mies périphériques de la zone euro se heurtent. La Grèce est désormais derrière le Soudan et l'Ukraine en termes de crois-sance. L'Italie et Chypre ont été dépassées par l'Iran et le Brésil. Et l'Espagne et le Portugal par la Grande-Bretagne.
Liée à l'euro, l'Italie ne peut pas dévaluer sa monnaie pour être plus concurrentielle au niveau mondial, et doit dorénavant faire face à des réductions de dépenses imposées par le Traité de stabilité budgé-taire de l'UE. Les règles de Bruxelles peuvent paraître sévères aux Italiens, en particulier en période de récession, mais Bruxelles estime que le véritable coupable est la classe politique italienne. Pendant des décennies, l'Italie a refusé de déman-teler son État byzantin, d'investir dans son infrastructure ou de mettre fin aux inté-rêts consentis de longue date aux entreprises.

La nécessité d'un partage plus important
Pour les économistes comme Ken Rogoff, la meilleure solution à long terme pour l'Italie est que l'UE renforce son union monétaire — un mariage en demi-teinte en quelque sorte — en y ajoutant une union budgétaire. « Pour l'ensemble de l'Europe du Sud, la monnaie unique s'est révélée être une cage dorée, imposant une plus grande austérité budgétaire et moné-taire, mais supprimant le taux de change comme garde-fou vital ».3Des unions réussies, comme aux É.-U. — dit-on — transfèrent l'argent des régions plus riches vers les régions en difficulté. Les économistes de l'UE appellent ça « partage des risques budgétaires ».
Nous pensons qu'un partage plus impor-tant des risques budgétaires est un défi de taille pour l'UE à l'heure actuelle. De nombreux électeurs de l'UE pensent que c'est de la folie de donner encore plus de pouvoir à Bruxelles. Le premier ministre hongrois, Viktor Orban, en est un bon exemple : il met explicitement en garde contre le risque de devenir des « États-Unis d'Europe ».
Malgré la recrudescence du sentiment anti-UE en Europe, nous pensons que les États-Unis offrent une certaine perspec-tive sur la voie à suivre. Nous voyons l'Europe d'aujourd'hui à un stade intermé-diaire semblable à celui des États-Unis à la fin du XVIIIe siècle. La ratification de la Constitution des États-Unis en 1788 était précédée par une confédération d'États peu structurée, qui a parfois fonctionné, mais pas toujours. Pour former une union plus harmonieuse, le premier secrétaire au Trésor des États-Unis, Alexander Hamilton, avait alors proposé de créer une monnaie américaine unique et une banque nationale pour régler la dette de la guerre que chacun des États avait encore à rembourser.
Les propositions de Hamilton avaient créé pas mal de division au sein du Congrès. L'opposition la plus virulente venait d'un membre du Congrès représentant des États agraires comme la Géorgie ou le Maryland. La plupart des États du Sud avait presque fini de rembourser leurs dettes. À leurs yeux, la nationalisation des dettes restantes aurait donné un avantage injuste aux commerçants dilapidateurs qui vivaient dans le Nord, dans des États comme le Massachusetts ou la Pennsylvanie. L'idée était que ces États n'avaient tout simplement pas bien géré leurs dettes. Les membres du Sud du Congrès étaient également opposés à une monnaie américaine. La centralisation du pouvoir loin des banques locales était risquée, et favoriserait probablement les intérêts commerciaux des industriels et des marchands du Nord. Un compromis politique conclu en coulisse — qui faisait état de l'implantation de la nouvelle capi-tale américaine dans le sud — a finalement permis de résoudre l'impasse en 1791.
Relations interculturelles
Aujourd'hui, nous constatons une division similaire entre le nord et le sud de l'UE. Cette fois, les pays du nord de l'UE, comme les Pays-Bas, s'opposent à l'idée de transferts budgétaires et d'obligations européennes. Ils présentent les mêmes arguments que Thomas Jefferson contre les institutions fédérales de Hamilton. Leur sentiment est unanimement partagé par les huit membres de la Nouvelle ligue de la Hanse. Composée de L'Irlande, les Pays-Bas, les pays nordiques et les pays baltes, ce groupe de libre-échange aux idées conservatrices en matière budgétaire, s'est formé après avoir perdu le Royaume-Uni qui partageait les mêmes idées à la suite du Brexit.
L'objectif principal de la Hanse est d'aider les petites et grandes entreprises de l'UE à accéder à davantage de capitaux privés plutôt qu'à des prêts bancaires, d'harmo-niser les règles européennes en matière de faillite et de supprimer les obstacles aux investissements transfrontaliers. Pourquoi est-ce une bonne idée? Ils esti-ment qu'un partage plus important des risques sur les marchés de capitaux privés pourrait se traduire par moins de sauve-tages bancaires — essentiellement pris en charge par l'Allemagne. Dans des documents de recherche publiés par la Commission européenne, la Hanse souligne que les petites et moyennes entreprises — le moteur de la croissance dans de nombreux pays — reçoivent cinq fois plus de fonds de capitaux privés aux É.-U. que dans l'UE.4
Lorsque les petites entreprises se trans-forment en grandes entreprises, les marchés du crédit profonds offrent une autre source non bancaire de capital et de partage des risques. Là aussi, la Hanse pense que les É.-U. surpassent l'UE; la valeur des marchés des obligations d'en-treprises représente 31 % du PIB américain, mais seulement 10 % du PIB de l'UE (une fois que le R.-U. se sera retiré).5 Les études du FMI révèlent l'im-portance de marchés financiers profonds pour amortir les ralentissements écono-miques dans des pays fédéralistes comme l'Allemagne ou les É.-U., comme l'illustre le tableau 2.
Malgré une opposition farouche aux trans-ferts budgétaires entre pays, nous pensons que la Hanse finira par faire petit à petit des concessions. L'un des princi-paux obstacles à court terme est la fracture culturelle entre les membres du Nord et du Sud de l'UE — un obstacle que les États-Unis n'avaient pas au début. Le terme « Hanse » fait référence à une configuration de guildes de marchands qui s'est développée à partir de quelques villes du nord de l'Allemagne dans les années 1100.
Enthousiastes de l'économie du libre-échange, les points de vue de la Hanse sur la dette s'alignent sur celles des Allemands plus âgés de l'après-guerre qui préfèrent encore faire leurs achats avec de l'argent liquide plutôt que de compter sur les cartes de crédit. Prenez cet arte-fact culturel : le mot pour dette en allemand est « schulden ». Schuld signifie blâme ou culpabilité.
Dans l'avenir, nous pensons que la zone euro évoluera vers un regroupement de sa capacité budgétaire, afin d'aider ses membres en difficulté à formuler un plan d'évolution durable — qui permettra de délester les jeunes du fardeau des péchés économiques de leurs aïeux. Il ne s'agit pas d'adopter la Théorie monétaire moderne où la dette publique n'a aucune limite ni conséquence. Selon nous, une conjonction de rétributions par le partage des risques budgétaires et de sanctions par des réformes structurelles peut fonder une Union européenne plus stable et plus prospère.
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Source : J. Ewing et J. Horowitz, « Pourquoi l'Italie pourrait être l'épicentre de la prochaine crise financière », The New York Times, 12 octobre 2018.
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Source : H. Berger, G. Dell‘Ariccia. et M. Obstfeld. « Repenser les arguments économiques en faveur de l'union budgétaire dans la zone euro », Fonds monétaire international, février 2018.
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Source : Rogoff, K. « La zone euro doit se réformer ou périr », Project Syndicate, 14 juin 2017.
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Source : Commission européenne, Livre vert, Forger une union de marchés de capitaux, Bruxelles, 18 février 2015, COM (2015) 63 version finale.
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Source : Commission européenne, Analyse économique accompagnant l'examen à mi-parcours du plan d'action de l'Union pour les marchés des capitaux, Bruxelles, 8 juin 2017, SWD (2017) 224 version finale.
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