CONTRIBUTEURS
Robert O. Abad
Les écarts de taux des swaps sur défaillance de crédit (SDC) sur le risque souverain américain ont augmenté de manière significative au cours des dernières semaines. La possibilité d’un défaut de paiement des États-Unis est-elle réelle?
Nous estimons que la probabilité d’un défaut de paiement des États-Unis est très faible. La seule fois où les États-Unis ont été « techniquement » en défaut de paiement, c’était en 1979, lorsqu’un retard dans le traitement des textes a entraîné un retard dans le paiement des bons du Trésor américain arrivant à échéance. En outre, le Congrès a relevé le plafond de la dette 78 fois depuis 1960, dont 49 fois sous un président républicain et 29 fois sous un président démocrate.1 Cela dit, les marchés se préparent à l’éventualité d’une impasse qui se prolongerait jusqu’à la onzième heure, une issue qui rappelle les années 2011, 2013 et 2021. Dans chacun de ces trois cas, le Congrès a évité un défaut de paiement, mais non sans ébranler les marchés financiers. Le climat politique très tendu d’aujourd’hui - les républicains contrôlant la Chambre des représentants et les démocrates le Sénat et la Maison-Blanche - n’a fait qu’accentuer les inquiétudes des marchés quant à l’absence de compromis politique sur le plafond de la dette. Cette crainte explique en partie la récente flambée des écarts de taux des SDC américains.
Il faut toutefois garder à l’esprit que le marché des SDC pour le risque souverain comprend principalement des pays émergents tels que l’Argentine, le Brésil, le Mexique, la Russie et la Turquie. Le marché américain des SDC est relativement nouveau et de taille beaucoup plus réduite, surtout si on le compare à celui des bons du Trésor américain. Par exemple, sur une base nette, la taille des contrats SDC américains en cours est estimée à 5 milliards de dollars contre 73 milliards de dollars pour l’obligation du Trésor américain du 15 mai 2050,2 qui sont les obligations les moins chères à livrer dans le cadre de ces contrats. L’illiquidité du marché américain des SDC (seules les banques non américaines étant autorisées à négocier ces contrats) et le fait que les obligations les moins chères à livrer sont beaucoup plus fortement décotées aujourd’hui expliquent pourquoi les écarts de taux des SDC américains pour les différentes échéances ont augmenté de manière significative depuis le début de l’année.3 Les écarts de taux des SDC américains à un an se sont, par exemple, élargis pour atteindre 155 points de base (pb) au 5 mai 2023, contre 18 pb au 31 décembre 2022. Les écarts de taux des SDC américains à 3 et 5 ans se sont élargis de 70 pb et de 42 pb respectivement, au cours de la même période.4
Quelle est la « date x » et que se passera-t-il si le plafond de la dette n’est pas relevé d’ici là?
Pour rappel, les États-Unis ont techniquement atteint leur limite d’endettement de 31 400 milliards de dollars le 19 janvier5, ce qui signifie que le gouvernement ne peut techniquement pas émettre de nouvelle dette. Depuis lors, le Trésor a eu recours à diverses mesures comptables « extraordinaires » pour payer les obligations de l’État dans leur intégralité et dans les délais impartis. Les experts du marché tentent maintenant d’estimer la « date x », c’est-à-dire la date à laquelle les États-Unis n’auront plus les moyens de faire face à leurs obligations, en tenant compte du recours à des mesures extraordinaires. Les récents commentaires de la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, suggérant que le 1er juin pourrait être la date x, ont troublé les marchés (compte tenu des estimations antérieures du Congressional Budget Office selon lesquelles les mesures extraordinaires seraient probablement épuisées entre juillet et septembre), mais il est important de noter que la date x dépend fortement du calendrier et du montant des recettes fiscales fédérales entrantes. L’estimation de la date x est particulièrement complexe cette année en raison du report de la date limite de dépôt des déclarations de revenus pour les Californiens touchés par les tempêtes hivernales.
Si le plafond de la dette n’est pas relevé à la date x, nous nous attendons à ce que la Réserve fédérale (Fed), qui agit en tant qu’agent fiscal pour le Trésor, suive le schéma qu’elle a élaboré en 2011. L’objectif de ce plan était de « donner la priorité » aux paiements d’intérêts et de capital sur les titres fédéraux par rapport aux paiements de sécurité sociale, aux salaires des employés civils fédéraux, aux prestations militaires, à l’assurance chômage ainsi qu’à d’autres obligations.6 La Fed a également mis en place des plans d’urgence (par exemple, par le biais d’opérations sur le marché monétaire) pour faire face aux perturbations du marché dans le cas d’une défaillance imminente. Le Trésor lui-même pourrait prendre d’autres mesures pour éviter un défaut de paiement en se procurant des liquidités par la frappe d’une pièce spéciale de grande valeur (qui serait déposée à la Fed et dont les fonds serviraient à payer les obligations du gouvernement jusqu’à ce que le plafond de la dette soit relevé), en vendant de l’or ou en émettant une nouvelle dette par le biais de la section 4 du 14e amendement de la Constitution; la clause relative à la dette publique stipule explicitement que « la validité de la dette publique des États-Unis, autorisée par la loi... ne sera pas remise en question. » Toutefois, nous tenons à souligner que la poursuite de ces alternatives comporte des coûts politiques et économiques inconnus.
Comment le marché et les agences de notation réagiraient-ils à un défaut de paiement des États-Unis?
Nous pensons qu’un défaut de paiement du Trésor précipiterait une réaction sévère du marché, dont la volatilité approcherait, voire dépasserait, les niveaux observés lors de la crise financière mondiale de 2008. Dans un tel scénario, nous pensons que le Congrès agira rapidement pour résoudre la situation; cependant, un défaut de paiement remettrait en question la stabilité économique et politique relative des États-Unis.
L’impact d’un tel événement sur les rendements des bons du Trésor américain serait variable, mais en fin de compte, nous prévoyons une baisse des rendements. Par exemple, si une défaillance devait entraîner une dégradation de la note, il pourrait y avoir des vendeurs forcés, ce qui ferait grimper les rendements des bons du Trésor américain. Toutefois, le coup de confiance porté à l’économie américaine (et son effet d’entraînement sur les marchés financiers mondiaux) ainsi que la dynamique de fuite vers la qualité devraient, à notre avis, écraser toute activité de vente et, par conséquent, faire baisser les rendements des bons du Trésor américain.
Le tableau suivant résume l’opinion de chacune des agences de notation sur ce qui se passerait si le Trésor américain manquait un paiement d’intérêts.
Pièce 1 : Résumé des notes pour le marché américain

Sources : S&P, Fitch, Moody’s, Morgan Stanley Research. Au 28 février 2023.
Définitions :
Un point de base (pb) est un centième de point de pourcentage (1/100 % ou 0,01 %).
Un swap sur défaillance de crédit (SDC) est conçu pour transférer l’exposition au risque de crédit des produits à revenu fixe entre les parties.
Le plafond de la dette fait référence au montant maximum d’argent que les États-Unis peuvent emprunter. Le plafond de la dette a été créé par le Second Liberty Bond Act de 1917, qui fixe un « plafond » au montant des obligations que les États-Unis peuvent émettre.
Notes de bas de page :
- Source : Département du Trésor des États-Unis.
- Source : Benzoni, L., Cabanilla C., Cocco, A., et Kavoussi, C., « What Does the CDS Market Imply for a US Default », Federal Reserve Bank of Chicago, 21 avril 2023.
- « Cette obligation a été émise à un prix proche du pair le 15 mai 2020, au plus fort de la crise de la Covid, avec un taux de coupon de seulement 1,25 %. Depuis lors, le Federal Open Market Committee (FOMC) a augmenté à plusieurs reprises le taux des fonds fédéraux, ce qui a entraîné une augmentation marquée des rendements des bons du Trésor à long terme et une baisse correspondante des prix des billets et des obligations, en particulier ceux qui sont assortis d’une longue échéance et qui versent de faibles coupons », Banque fédérale de réserve de Chicago, « What Does the CDS Market Imply for a U.S. Default », avril 2023.
- Source : Bloomberg.
- Source : Congressional Budget Office, février 2023.
- Source : Transcription de la conférence téléphonique du FOMC, 1er août 2011.
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